samedi 10 février 2018

BIOS 2.0: mise à jour nécessaire



Ils ont posé un nouveau compteur. Le compteur est à eux. Ce sont eux qui tiennent les comptes, là-bas, au pays où vont les voix qui fusent dans les téléphones. Tandis que moi je reste ici, avec mon ancien moi, qui n'émet pas de données, pas d'informations directement reliées à un centre lointain par des cordons qui traverseraient la terre. Je n'ai pas de centres lointains moi, que je sache. Le mien est un abîme bien celé au fond de ma personne, une singularité qui semble avoir percé l'espace et le temps même.

Je capte dix-sept réseaux wifi de mon appartement. Dix-sept sources d'émission d'ondes qui traversent mes murs le jour comme la nuit, s'invitent dans mon lit lorsque je dors, fouillent à l'intérieur de mon crâne, de mes intestins, de mon foie. Que peuvent-elles bien demander à ces derniers, les pauvres, qui ne comprennent pas, qui n'ont pas connaissance des protocoles en vigueur pour établir une connexion. Si je pouvais leur apprendre, moi qui sait, peut-être pourraient-ils entamer l'échange par une poignée de main, puis après cela on se mettrait d'accord, comme dans un hôtel de passe, pour se brancher l'un à l'autre selon une grille tarifaire: tel type de relation est accepté mais cet autre est formellement interdit, illégal, et pourra faire l'objet de poursuite judiciaire si attenté... Le wifi frappe à la porte de mes organes sans discontinuer, comme un touriste en pays conquis ne daignant pas même dire bonjour dans la langue autochtone.

Est-ce pour ça que mon sommeil semble parasité? Les murs sont les passeurs silencieux de promesses alléchantes. Leur surface est pareille au soleil avec ses éruptions magnétiques insensées qui font monter ma température, détraquent mes circuits. TTAGGGATTCGG pouvait-on lire dans le livre génomique de mon existence, en un passage particulièrement croustillant croyez-moi - ou plutôt jugez vous-mêmes. Désormais il y est inscrit ATAGGGATTCCG... Je ne comprends pas ce qui m'arrive, ce n'est pas moi, où est passé cette subtilité sémantique, l'usage des métaphores qu'entretissait ma chair? On n'est plus maître de son propre corps alors?! L'a-t-on jamais été...

Dehors c'est pareil, je respire les gaz émis par les véhicules motorisés, je bois une eau qui contient des résidus de produits contraceptifs, d'antibiotiques. On a presque interdit de manger le poisson qui contiendrait bien trop de métaux lourds. Mais ils ne s'en rendent pas compte, ne vous inquiétez pas, parce que le poids dans l'eau est allégé... Je ne sais si ce sont les métaux lourds ainsi absorbés qui me tirent, moi, vers le bas, m'aspirent par gravité aggravée, comme un plomb de canne à pêche, flottant là entre deux limbes.

On ne peut plus faire attention à sa vie ces jours-ci, à peine peut-on encore choisir sa mort. On crève malgré nous du choix des riches sans trop avoir notre mot à dire. C'est que, voyez-vous, pour dire des mots performatifs, prendre des décisions, nous avons des représentants que l'on n'a pas choisis. Mais on n'est pas à plaindre il nous reste facebook les SMS et puis les blogs.

J'aimerais au moins  dormir, fermer les yeux et la conscience sur le point noir en moi qui voudrait bien me contenir en lui. Mais le téléphone de la voisine sonne juste derrière le mur de mon lit, sa télé pétarade des scènes de violence à fort volume. Les ondes wifi me violent de l'intérieur, je suis sans cesse sollicité.

Ma vie est un carton impossible à fermer. Je me demande, si pour ma mise en bière et pour l'inhumation, un service wifi sera disponible... Peut-être aurais-je le privilège de commander l'option "déchets radioactifs", histoire de réchauffer ma carcasse dans le froid des tréfonds qui s'englacent en hiver. Qui sait si l'ordinateur biologique n'ira pas alors modifier le vieux code pour y exécuter une nouvelle version de moi-même, mise à jour, avec les organes adaptés à ce monde où les types comme moi, et ceux comme vous aussi, sont devenus obsolètes..?

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