samedi 15 avril 2017

Sous l'orbe incandescent

On voulait être bien des choses mais on ne croyait pas vouloir être celui là qui enfile ses jambes effilées dans le fond de mes jeans. Une suite d'inaventuriers auront été les points d'arrêt de cette constellation inachevée que je ne crois pas rêver d'être. Et celui qui respire dans ces vêtements remplis est une présence familière dont je subis l'incessant vacillement, la flamme d'outre-mer qui colore mes airs et tous mes horizons.

Non mais regarde le celui-là, écrivant sur mes pages, frappant de ses gros doigts... J'ai dit pourtant que je ne souhaitais plus écrire. Enfin, j'ai bien cru l'avoir crié du fond de mes entrailles. Qui es-tu toi qui ne veut pas ce que je veux et me fait perdre le fil de ma fiction. Chacun de mes gestes est une dissolution de tout, du fondement de mon être et du fond de mes formes; à tel point que je ne suis que lettres où les non-sens dorment...

J'ai été un enfant qui jouait, une balle au bout du pied, sans fêlures ni aspérités, fraîcheur marine et brise d'été: un point d'exclamation pour chaque pensée.

J'ai été un jeune déraciné pluricosmique aux terres calcinées. Mes songes déjà s'aéraient d'errances célestes en volutes de fumée.

J'ai été l'adolescent écartelé, un coeur différent pour chaque foyer. J'étais celui dont les mots reculaient, sans cesse refluaient vers l'origine informulée.

J'ai été l'adulte fragmenté, anéanti et aliéné. Celui qui s'inventait des sources stellaires des confins pour ne pas avoir à subir l'affront d'être d'ici, de ces tortures quotidiennes dans des fabriques de destins en série. Mon verbe était boîteux, le long sillon du doute dépourvu de sens et de milieu.

J'en ai été d'autres encores innombrable armée de ces "je" fatigués, peut-être que le temps les a figé, ou peut-être sont-ils là, dans l'accord dissonant de mes actes et de mes desiderata.

Ai-je seulement été poète, autrement que comme un rêve fugace qui semble une vie?

Ne sachant plus - car moi je ne suis pas comme les autres, moi je suis plus vil et pour cela sublime, moi je suis celui qui n'existe pas, celui qui ne veut pas ce qu'il veut, celui qui pleure où les gens rient, et puis celui qui fait des vers de silence qu'on lit dans les regards; ceux que l'aurore arrache à la nuit et son bleu des tréfonds.... - je ne m'offusque plus de voir un corps, ou un esprit étrange, prendre pour moi des décisions qui sont les miennes sans me le paraître. On me dit "tourne là!" et j'obéis, je traîne mon monceau de vie au bout des nuits des autres, pour capturer les reflets d'un soleil que je n'aurais su convoiter.

C'est comme cela que se conduit l'attelage de mon esprit, mené par un thumos exubérant et une raison folle d'avoir contemplé sa source contraire, son anti-reflet.

Celui qui écrit jouit de l'acte se faisant, tandis que le sceptique indécis s'interroge et suspend son assentiment, mais au même moment, le moi de demain se penche sur la scène impatient, il aimerait que tout ce monde aille se coucher pour éveiller sa force aux premières lueurs. Et les golems aériens des mélodies passées observent en musique tout ce théâtre intime, en mineur s'il vous plaît, toujours en mineur, c'est la musique de mon coeur atone qui n'en a pourtant jamais entendue mais qui frémit tant qu'il peut dès lors que ceux qui peuvent entendre en moi s'annulent dans son tempo.

Vous êtes tous bien là, même ceux que j'oublie... Ombres dérisoires sous l'orbe de mon oeil incandescent qui ne sait qu'être ouvert, infatigable vigie à la lisière de tout et puis rien. Si je pouvais être toi, et seulement toi, je n'aurais pas ces mots que l'autre arrache, qu'il pleure chaque nuit dans ce journal immonde où les larmes ont la couleur du néant. Je n'aurais pas les pensées de celui qui s'en moque et qui se demande en riant où tout cela finira.

Où cela finira-t-il d'ailleurs? Que l'oracle qui vit en moi se réveille, qu'il daigne offrir à tout ce petit monde sa sentence sacrée. Lâche, tu ne t'exprimes que lorsqu'on n'a pas besoin de toi; où peut-être t'ai-je tant tourné en ridicule que tu fais voeu d'être muet, peut-être suis-je un geôlier malsain, argousin de mon bagne insensé dont je cherche la clef.

Ah, quand bien même, quelle importance. Nous sommes tous là - nous parce qu'il n'y a pas de "je" - concentrés sur la seconde à venir, déroulant le destin des Moires comme un film improbable aux sens inévidents. Ah poète, tu aimerais à cette heure savoir ce qu'il adviendra de toi, de tes vomis verbaux qui te font des breloques diaprées... Oracle se tait, vois comme il est dans sa transe, au milieu de sa foi comme en des bras de femme. Les autres ont d'autres questions. Le courageux qui aime l'action attend le réveil de la volonté, vois comme il l'attise comme un feu qu'on doit rallumer...

Dormons, mon monde, dormons ensemble et laissez-nous donc nous reposer de nous. Allez savoir quels rôles exquis le sommeil nous aura réservé.

Dormons s'il vous plaît, puisse le sommeil faire de nous tous un je...u.

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