vendredi 17 juin 2016

Analphabet d'une poémence

Silence froissé et coeur qui ne dit mot, coeur qui ne bat plus toutes les heures, coeur emmuré, où est ton ancienne figure?

Corbeau aux ailes ployées, sans un croassement, corbeau qui reste posé, froissement d'ailes qu'aucun vent ne caresse.

Immobile, comme le froid extérieur qui fige ce qui bouillonne à l'intérieur.

Plus de poésie, plus de langage exprimé, tout s'imprime en des partitions muettes et non jouées.

Silencieux malheur qui viendra te sortir de ma torpeur?

Bruissent tous ces songes qui s'étouffent dans mon utérus. Vous, récits rythmés, je vous coupe les pieds, abolit votre espace, restez là, restez cois, je vous garde avalés.

Nuit noire aux étoiles lointaines, tout est impliqué dans mon présent, mais désormais, plus rien n'est expliqué.

Feutrée, atone, comme une Perséphone muselée.

Nul n'entend, seul moi reconnaît le chant. L'absence est mon tempo.

Je me tais, je me tais.

On m'aura vu dans la rue comme un pantin brisé
Ivre et violent dans les mastroquets
À parader devant la mort comme un petit roquet
Qui cherche à se faire caresser ou seulement rosser
C'était peut-être ta main que je cherchais
Celle-là même qui jamais ne se pose
Sur mon torse velu, le long de mes mains roses
C'est pour quoi je me suis tu
Pour quoi je suis parti
Vers ce jour sans fin qu'est ma vie
Et son mauvais casting

Silencieux clown aux paupières closes
Quelle étrange rancoeur à ton esprit s'impose?
Corbeau aux ailes ployées
Tu étincelles de silence
Comme un fond de cosmos
Une hypnotique danse
Le sillon de Chronos

On m'aura vu gueule cassée
Sur un vieux zinc souillé
On m'aura vu parader
Peut-être auras-tu regardé...

Boutons de solitude aux fleurs de mes prairies
Boutons de turpitude sous la lune fleurie

Regarde ce qu'ils lisent, des brouillons que je n'ai pas voulu publier, des cantiques au texte muet.
Si ces mots sont une chemin, celui-là s'appelle revient, il part de mon silence et puis retourne à sa naissance.

Je désapprend à écrire, je m'en désintéresse. Je vis un peu plus, je mets de la beauté dans mes gestes, et ma présence est une douce prosodie que patiemment j'ai polie. Mes répliques ont un rythme, mes allégresses ont des staccato fracassants que viennent casser le silence d'un regard que je fais durer; croche, noire, ronde, contrepoint, puis je me mets à parler, pour ne rien dire, pour l'ornementation musicale de mon existence, pour vous entretenir de beauté surgie du fond de ma mélancolie. Et qu'elles vous plaisent les fleurs de mon tourment aux boutons irisés, très prisées pour orner vos cheveux et pendre à vos oreilles. Ephémères aussi, comme le plaisir que vous prenez. On peut vraiment tisser avec les choses, les objets, les corps, de bien jolis poèmes. Pâte à modeler du monde, je trempe une âme brisée dans vos prunelles, je copie la délinéation de vos courbes cachées, et je peins ma présence comme un trompe l'oeil qui ne cherche pourtant point à tromper, un trompe l'oeil qui ne serait qu'un redoublement de ce que l'on verrait sans lui, mais un trompe l'oeil charmant tout de même, un trompe l'oeil racé, avec un rythme qui vous fait danser, avec un cadre qui vous fait rêver, avec votre beauté dedans qui s'y reflète et vous captive. Car ne soyez pas dupes, c'est toujours de vous-même que vous êtes amoureux lorsque vous me regardez, lorsque vous me buvez et voulez m'agripper.

Je n'ai jamais eu besoin de partir pour me dérober, il me suffit d'être là, comme un poème qu'il faut lire cent fois et qu'on ne saisit pourtant pas, comme une image qui vous reste devant les yeux, mais qu'il faut regarder encore, et encore et encore, parce qu'elle disparaît peu à peu, parce qu'on a plus en tête tel détail charmant. Ma poémence est ainsi, rien qu'une image, juste une musique qui passe et que l'oreille ne peut retenir, une représentation qui s'étiole comme la queue des comètes.

Vous êtes mes pages vierges, âmes constellées, mon langage est un analphabet d'émotions et de sentiments, avec une ponctuation du corps qui vient scander le temps, battu par le métronome de ma peine, ce sol si fertile d'où jaillissent les joies qu'ensemble nous vivons. Ne bois pas l'eau du puits petite, tu n'y retrouverais pas le goût de l'odeur, et tes mains seraient ternies par une absence de couleur qui permet à ton coeur de ressortir, en éclaboussure de lumière lorsque tu te penches vers moi. Ne bois pas l'eau du puits petite, elle n'est point faite pour ça...

Je n'écris plus et pourtant, je n'ai jamais autant créé d'illusions en tous genres, de poésie de chansons, d'amours et d'instants qui se vivent comme des morceaux de chocolat fondus sur la langue, juste en dessous du palais des expériences, où la mémoire avide entasse ses trésors, alimente la galerie de fantômes qui forment un destin.

Je me lève, j'ai joué trois notes sur ma guitare, ce soir je sortirai très tard, et nos rencontres, sans que vous le sachiez, seront les rimes de cet instant premier: ce détachement de mes mains du clavier, le déploiement de mon corps vers l'instrument, le claquement de trois cordes.

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