samedi 24 septembre 2011

Souvenir: un fragment


Dix heures du matin, le soleil tape comme tous les jours ici et je prépare mes affaires. On va à la plage aujourd'hui, en ce Samedi tant attendu. Tout mon être est tendu vers l'océan, je ne suis qu'anticipation de notre rencontre. Musique rock dans la chaîne, je me gave d'images de toutes mes idoles, tous ces surfers auxquels j'aimerais tant ressembler. Je sors ma combinaison et la pose sur le lit, mon lycra, ma planche rangée dans sa housse. On embarque tout ça soigneusement dans la voiture et mes parents et moi partons pour une journée à la plage. Je leur donne une cassette audio: Silverchair que nous écoutons et j'observe le paysage marocain s'enfuir dans la musique, sous mes yeux de gamin plein de rêves.

Dix heures trente-cinq, nous arrivons à l'Oued Cherrat, mon spot favori. Mon père gare la voiture en haut de la dune qui nous cache l'océan. À peine sorti, le vent emporte mes cheveux, rafraîchissant ma peau. Je ne peux m'empêcher de monter directement tout en haut de la dune et voir l'océan agité s'offrir à ma vue. L'eau est magnifique, les vagues régulières, la plage est presque déserte à cette heure-ci. Un frisson de plaisir me parcourt, je vis déjà le moment où mon corps pénétrera dans l'élément liquide, soutenu par la planche glissant doucement sur l'eau salé, comme une caresse faite aux vagues.

Je récupère mes affaires, nous descendons vers la plage, je laisse le soin à mes parents de trouver un emplacement qui leur convient. J'enfile mon lycra puis ma combinaison qui me compresse et me colle à la peau. Méticuleusement, je frotte le pain de "wax" à l'odeur de barbe à papa sur la planche puis attache la laisse à ma cheville gauche. Je trottine vers l'océan, sentant le sable devenir de plus en plus humide sous mes pas, prendre de la consistance. Le bruit des vagues qui se cassent ne s'arrête jamais, il est ma musique de fond. J'ai les pieds dans l'eau froide, mon coeur bat un peu plus vite et je m'élance sur le dos d'une vague en me jetant à plat ventre sur la planche. En face de moi: une série de murs d'eau mouvants vers lesquels je m'avance, ondulant au gré des vagues. Je ressens le sel sur mes lèvres et l'eau qui s'infiltre peu à peu dans la combinaison. Une première vague casse devant moi, je m'enfonce avec la planche pour passer au-dessous de l'écume qui semble une bouche rageuse qui veut tout emporter, premier contact avec la réalité de cette violence océanique. Je passe la barre et me retrouve au-delà des vagues, dans la calme où l'océan ne s'acharne pas sur la terre, attendant patiemment à cheval sur ma planche, les yeux rivés sur l'horizon, qu'une série s'annonce. Soudain à quelques mètres, je vois l'eau enfler en imposantes ondulations, la série est grosse, je me retourne et commence à ramer pendant que la première vague me rattrape, me lèche les pieds, et veut m'entraîner avec elle. Encore quelques efforts vigoureux puis je me sens porté, entraîné dans la pente raide de cette vague tant attendue, je glisse et prend de la vitesse. D'un coup je me redresse, me tenant debout sur le planche, tout mon être fondu dans l'action, seul intermédiaire entre moi et l'eau, cette planche qui me porte et me transmet un peu de la puissance de cet océan immense. J'ai douze ans et la réalité du monde l'emporte sur les balbutiements de ma vie intérieure. J'ai douze ans et il me semble qu'alors n'existe aucune différence entre moi et ces vagues impétueuses, entre moi et cette plage que je n'ai jamais vraiment quittée, entre moi et ce pays auquel je me confonds.

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