jeudi 13 mai 2010

Un prophète

Une oeuvre d'art pour moi ne s'analyse pas, on ne peut que la vivre, du moins lorsqu'elle nous touche (d'une quelconque manière). L'oeuvre d'art doit apporter, me semble-t-il, une transformation de notre être, elle nous fait passer sur une autre modalité d'existence. Lorsqu'une oeuvre est réussie, aucune analyse ou interprétation ne saurait nous la faire apprécier plus que la simple expérience vécue de l'oeuvre à travers les sens qui la véhiculent. L'art se vit, il ne s'explique en aucun cas.

Un prophète est un film qui m'a bouleversé à tout jamais. C'est le seul film au monde que je pourrais regarder 5, 6 fois d'affilée sans jamais me lasser. Regarder ce film est pour moi une manière d'exister plus intense, une expérience dans laquelle je m'oublie, dans laquelle j'entre en communion avec un instantané de vie autre que la mienne mais entrant tout de même en résonnance avec celle-ci, comme une fusion de deux êtres.

Tout me touche dans ce film, cette manière de filmer, lente, illustre pour moi parfaitement le déroulement sinueux de la vie. C'est un langage étranger, que je ne maîtrise pas mais que pourtant je comprend, un langage dont la prosodie se transmue en musique, un langage qui me berce et m'embarque dans sa réalité.

Un prophète est un film qui d'emblée vous transporte dans son monde, vous fait ressentir les moments de vacuité de la vie, les moments pleins aussi, les douleurs comme les joies. Rien n'est explicite car l'oeuvre n'est en aucun cas un moyen de communication, on ne cherche pas à acheminer un sens jusqu'à la conscience du spectateur, non. On cherche au contraire à recréer par le langage audiovisuel, une modalité d'existence associée à un récit qui l'illustre, on cherche à faire vibrer l'autre sur une fréquence particulière.

En cela, l'oeuvre d'art se distingue du vulgaire "film" que l'on consommerait comme un paquet de chips. L'oeuvre qu'est "Un prophète" ne peut lasser, c'est un état de la vie par lequel on peut être séduit, choqué, rebuté mais elle n'est en aucun cas assimilable à la consommation d'un produit fini sur lequel notre action va permettre son dévoilement, son assimiliation. On entre dans l'état que propose "Un prophète", on s'y immerge totalement et l'on choisit d'en sortir ou bien d'y rester, mais cet état laisse une trace indélébile en nous, il représente une expérience qui s'est intégrée définitivement en nous.

Un prophète me met dans un état d'existence intense, ce film me fait expérimenter les joies de l'action pure dans laquelle l'identité se dissout avec délectation. C'est un décalage léger offrant une perpective et une façon d'expérimenter le monde différente, avec plus de hauteur mais aussi plus de proximité, de "corps à corps". Un prophète fait partie des oeuvres d'art, celles qui vous plongent dans l'ivresse nietzchéenne, celles qui font de vous une oeuvre d'art par résonnance, par complicité je dirais même.

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