jeudi 28 mai 2015

Le faiseur de miroirs

Jamais endormi, même en plein sommeil quelque chose demeure, glissant sur l'épaule déferlante du temps. Toujours une sensation à sentir, toujours une image à former dans la mélasse de l'indéterminé, toujours une conscience éveillée: le sommeil est un état d'éveil particulier.

Et lorsque tout cet édifice musical de chair et de pensées cessera d'être mu par une quelconque volonté, chaque partie désunie continuera son voyage intercosmique; vertige du voyageur sans vitesse. J'ai trouvé la vérité, dans chaque absolu de mes images intransmissibles, et cet acte cultuel de vouloir injecter ma vie dans celle de fines lignes entrelacées par la syntaxe n'a plus de sens, il ne vaut que pour lui-même: acte d'être penché sur un écran, recroquevillé telle une araignée mourante, avec les mains survolant prestement l'éclatement littéraire d'un clavier. M'écrire ne veut rien dire, rien d'autre que ce mal de dos, que la sensation des muscles de l'avant-bras qui fatiguent, que mes tendons qui protestent, que l'impatience kinésique de mon corps.

Je suis issu du mouvement et c'est ce même mouvement que j'instille goutte à goutte dans ces phrases inertes. Je hais l'écriture pour le temps qu'elle me prend à consumer de la durée de mouvement dans de vaines entreprises. Les lettres ont leur propre rythme que j'ignore et je m'acharne cependant à les violer, comme un matériau inepte et dépendant: colonisateur de l'inconnu, comble de l'ignorance crasse... Je hais l'écriture autant que j'aime la sensation de lire.

Ecrire s'apparente à déverser la mort à partir de la vie lors même que la lecture est l'acte de ressuciter ce qui n'est qu'enveloppe défunte. J'écris dans un seul but: me lire, et retrouver dans l'extériorité de mes mots le reflet de mon intention transcendante. Chaque phrase filée à une autre est une part du monde que je polis afin qu'elle me renvoie un jour, possiblement, le reflet de ce souffle dynamique qui s'exécute en moi sans jamais que je ne le puisse saisir.