mardi 28 avril 2015

Néant distordu

De quel néant distordu ai-je bien pu naître? Que reste-t-il ici à faire à part attendre la mort dans la solitude la plus complète, quand tous les autres filent vers des gares imaginaires à qui la foi prête une existence réelle?

Je suis un étranger pour moi-même, toujours s'observant par le regard impersonnel de la conscience, toujours fasciné par ce flux d'énergie vibrante et polymorphe, qui n'a de cesse de devenir autre chose. Pas d'objet d'étude, pas d'unité, pas de permanence autre que la conscience. Et que resterait-il de cette permanence si la conscience elle-même était une synthèse à chaque instant renouvelée? Conscience granulaire, advenance d'une nouveauté, rupture du continuum.

Entre la peur de vivre au sein d'un vide sans profondeur et l'allégresse du possible que je ressens au bout de chaque sensations, que reste-t-il comme chemin à arpenter?

Je ne travaillerai plus jamais, je resterai ici immobile, comme une pierre parmi les pierres. Rien ne m'érode, je suis ma propre mort qui travaille de l'intérieur la roche de ma caverne. Aucune fiction n'avait pu prévoir cela: l'incommensurable richesse de l'indétermination primordiale.

Je crois d'ailleurs que nul humain n'aurait dû la ressentir... Je sais que tu l'as senti aussi Fernando. Et si ma vie doit ressembler à la tienne alors soit, j'irai au bout de l'ennui, défilant l'une après l'autre les ennuyeuses et prévisibles diapositives d'un monde figé dans un état dimensionnel qui m'exaspère. Nul n'aurait dû ressentir cela...

À quoi me sert moi le moindre geste lorsque chaque effort est une remontée de l'action, un processus de tarissement de la dispersion au profit de l'unité du rien, insaisissable, et que pourtant tout mon être annonce, appelle, ressent, pressent.

J'ai parfois l'impression que nous sommes une sorte de bétail engraissé et élevé pour devenir l'enceinte de dieux futurs. Et s'il nous fallait apprendre à devenir des dieux, c'est à dire à polir en nous suffisamment de chaos et d'ordre, suffisamment de multiplicité dans chaque série potentielle, suffisamment pour que précisément la multiplicité s'assèche au profit de l'infini réalisé du néant? Qu'est-ce qu'un dieu serait de plus qu'une conscience devenu aphone, atone, car pleine d'une vacuité riche de toute l'indétermination de la puissance d'être? Et s'il nous fallait apprendre à rebrousser toujours plus loin la tentation des sensations diaprées, des désirs, des objets unis, des choses, afin de retenir l'univers entier dans les prémices non manifestes d'un souffle contenu? Devenir un dieu, et imploser de l'intérieur en une myriades de possibles inexprimés, et dont l'inexpression même creuse l'être déterminé d'un possible éteint dans l'actuel, le creuse jusqu'à la rupture du trou noir, jusqu'à absorber toute la matière de cette dimension pour la ramener à l'état fondamental de l'énergie brute et sans buts, sans formes... Et au bout, dans la déchirure de l'être, se déploie alors, dans un autre lieu, atopique, tout le possible d'un monde qui se déverse dans l'acte des dimensions physiques, telle une plaie qui suppure son trop plein de sève, et laisse échapper un liquide auparavant nourricier, pour en faire une chose achevée, détachée, absolue: une chose parmi les autres choses d'un monde, tel un magma refroidi sur les pentes d'un volcan...

Je veux devenir un dieu, et déchirer le voile de l'univers; que ma conscience (est-ce la mienne?) absorbe et traite tous les éléments qui approchent de son rayon létal, retenant la lumière et jusqu'à l'écoulement du temps. Et si chaque humain n'était que l'envers d'un trou noir? Son point central, sa singularité inatteignable?

Il faut bien que cette puissance demeure, quelque part. Sinon pourquoi existerais-je...