En me levant ce matin, contraint par le réveil, je sens, tout autour de mon être, l'étreinte familière de cette société que je subis depuis l'enfance. Les odeurs de cafés, le jour qui ne s'est pas encore levé, tandis que les humains s'énervent à colmater la fourmilière étincelante pour quelques rois et reines stériles. Tout ceci a un goût dont je me souviens avec une acuité étonnante. Cette contrainte inepte est incrustée dans ma chair, à tel point qu'elle suscite un ensemble de sensations et d'émotions qui se synthétisent en une sensation plus large, accord mineur de la résignation, sentiment subtile de la bête acheminée vers son lieu d'abattage.
Plus jeune (mais suffisamment pour vivre seul), il m'arrivait de ne pas me lever. Mais je vois qu'aujourd'hui, j'ai suffisamment intériorisé la contrainte pour qu'il me soit presque impossible de recommencer. Malgré tout mon élan anti-capitaliste, malgré tous mes bons sentiments, mes résolutions, je me fonds dans le circuit économique, électron borné qui file à toute vitesse sous la direction de lois implacables. Je nourris mon ennemi, jour après jour, éduque des enfants à faire de même tout en instillant, hypocritement, un semblant d'esprit critique pour me donner bonne conscience.
L'humain moderne est un être décidément pathétique.