vendredi 4 novembre 2016

D'où jaillissent les mondes

Je me souviens ces jours où la vie roulait, fendait l'air vers le ciel d'une intention, se souciant guère de sa possible réalisation. C'étaient les jours heureux où d'aucuns me suivaient, et même s'ils avaient tort, cela participait à leur cheminement propre, leur liberté avait besoin d'une tutelle (dont ils s'apercevraient un jour qu'elle n'est rien d'autre qu'eux...); et j'étais un navire commode pour emporter sur mon large pont les rêves d'autres humains. Je cherchais sans cesse, soulevant l'assise céleste des étoiles pour observer l'envers des choses, je voulais savoir quand bien même il n'y aurait rien à savoir, je voulais enrichir mon expérience de l'ignorance, je voulais étendre mon monde et j'arpentais sans relâche toute dimension inconnue.

Sisyphe redescend chercher son rocher inlassablement parce que Sisyphe est vivant, et s'il décidait d'arrêter il  n'y aurait plus rien alors, plus qu'un supplice bien pire qu'une mort anticipée. J'ai oublié de vivre.

Il me faut repartir arpenter les sentiers de la connaissance, il me faut regarder ce que les autres ont construits de royaumes féeriques où endormir leurs jours. Il me faut les comprendre et en incorporer les principes constructeurs, il me faut continuer d'apprendre des croyances cohérentes pour avancer et construire mes propres châteaux de sable. Je serai la marée haute qui viendra sans pitié effriter les fondations de tous mes édifices, traces tangibles du jeu de l'âme. Tout nomade est un ami du temps, obéissant à la nécessité de manger ses propres enfants.

Depuis trop longtemps j'ai cessé de jouer, mais je dois reprendre la route, produire mes propres histoires et partager mes contes auprès de quelques curieux de passage. Les gens aiment écouter l'odyssée d'autres humains, je dois redevenir le barde itinérant qui connaît les royaumes intérieurs où d'autres n'ont pas le temps ou pas le goût de s'aventurer. Je dois dire l'étrange qui est pourtant le reflet familier de chacun, je dois redevenir l'étranger qui est partout chez lui parce qu'il apporte à tous une part d'humanité souterraine ou parfois oubliée.

Je dois ramener les ombres de la caverne sous le soleil des hommes car c'est bien de l'obscurité que jaillissent les mondes.