Je ne sais pas, lorsque je sens ma vie, comment font certains pour croire au libre-arbitre...
Nous désirons presque tous des choses que nous préférerions ne pas désirer, nous nous embrasons pour des choses qui nous apportent pourtant plus de souffrance que de joie. Toute la vie est une tragédie cosmique où le moindre geste est issu d'une conspiration stellaire qui se joue de nous. Les étoiles semblent écrire avec notre sang le roman absurde et tragique d'une planète périphérique. Le ciel est un esthète, il a compris ô combien le tragique est sublime et ourdit, depuis le fond des temps, des synergies antiques produisant le tourment.
Il y a de quoi être artiste lorsqu'on possède un tant soit peu de lucidité, c'est à dire qu'il n'y a plus qu'à se faire l'écho du monde en sacrifiant nos illusions sur l'autel du sublime. De toute façon tout nous emporte vers un ailleurs ignoré - et si nous ne l'ignorions pas, voudrions-nous y aller? -, comme les passagers d'une croisière pour laquelle ils n'ont jamais signé. D'aucuns agissent comme s'ils étaient d'ici, comme s'ils avaient toujours vécu là, et d'autres consument leur temps comme une cigarette, accoudés à la rambarde en contemplant la beauté des cieux et de la mer.
Qu'est-ce que le monde fait ici, que sont toutes ces choses, toutes ces pièces d'un jeu dont nous sommes les joueurs contraints - mais heureux? -, un jeu où même une fois les règles bien connues, on ne cesse d'être surpris et étonné? Cette vie qui m'épate, je la fume par bouffées irrégulières, et certaines (la majorité) ont le goût âcre et douloureux suffisant à en écoeurer; mais toujours, il y a cette arrière-goût délicieux qu'on aimerait étendre pour qu'il devienne enfin la totalité de l'expérience - Ne nous rendons pas compte que si c'était le cas, le délice deviendrait banalité sans nul attrait. Et nous fumons alors de plus belle, avidement, mais c'est toujours le même résultat, la même souffrance teintée d'ivresse qui nous calcine les poumons, toujours le même poison sucré qu'est la vie.
Pourtant, je trouve cela bon et la situation si belle, le sillon de nos coeurs prisonniers qui tambourinent leur tourment dans les espaces indéfinis, la symphonie émouvante de tous nos rythmes qui se mêlent, des chairs qui s'écorchent et continuent d'aimer, inexorablement, tragiquement.