L'état de fatigue est un état intéressant par cela que l'attention s'en trouve diminuée ainsi que l'analyse réflexive. Moi qui ai passé une partie de ma vie à l'abhorrer, je me paie aujourd'hui le luxe de l'accueillir comme une donnée quelconque du quotidien. L'intellect se met donc au repos tel un passager accoudé nonchalamment au bastingage d'un bateau, et qui s'accorderait le bonheur de ne rien faire, rien d'autre que la contemplation passive du paysage qui s'écoule dans le siphon du temps.
L'intellect peut soit s'opposer à cet état lénifiant et en apparence improductif, soit l'embrasser et s'y abandonner langoureusement (ainsi que toutes les nuances possibles entre ces deux horizons). Ces moments sont peut-être les plus décisifs de tous, ceux où les couches souterraines de l'esprit mettent en branle d'antiques rouages chargés d'unifier, dans l'ombre, les informations éparpillés. L'esprit, la conscience (et ses différents niveaux), en tout temps, s'active à assembler un monde, architecte dément et compulsif.
Tout ce que je peux produire sur un plan intellectuel en ces moments là est médiocre (du moins jugé par moi comme tel, mais n'est-ce pas la seule chose qui compte?), chaque effort sapé en son fondement même. Il me faut accepter cela et aimer cette passivité qui me rappelle que bien souvent (peut-être tout le temps), l'activité dont je crois être la cause n'est que l'effectuation d'un faisceau causal immense et enchevêtré, d'une intrication de processus - dont l'histoire remonte probablement à l'éternité - qui agissent par synergie à travers ce que je nomme moi: cette symphonie de mes actes.
Si chaque processus est le fruit d'une mécanique alors il obéit à une loi et l'ordre des évènements est ainsi déterminé. Bien sûr, un parfait clinamen viendrait introduire le chaos qui semble s'immiscer partout dans la fonction de la vie, mais peut-on vraiment affirmer qu'il existe une telle chose qu'un hasard absolu? Tout juste, je pense, peut-on le croire.
Un tel système aurait quelque chose de majestueux (cosmos exprime alors cet ordre immense) et d'intrigant, mêlant structure déterministe et flux chaotique. Les grandes fonctions cosmiques avaleraient ainsi des données issues d'un éventuel hasard primordial; chaque monde l'exécution d'un programme nourri d'indétermination.
Il s'agit alors de découvrir si l'indétermination elle-même n'est pas le fruit d'une fonction, et si oui de laquelle.