Ce qui m'a le plus desservi, dans mes relations avec les autres, c'est que les actions n'ont jamais eu pour moi de véritable importance. Ce sont, selon moi, les pensées qui font un homme, pas ses actes, et, malheureusement, je ne cesse d'être jugé pour mes actes insignifiants qui sont autant d'os sans moelle jetés à cette société du paraître et du faire. Je suis défini, un tant soit peu, par mes idées, et c'est pour cela qu'autrui devrait accorder plus d'importance à mes propos qu'à mes gestes programmés, réaction quasi automatique face à l'agression de la vie de troupeau.
Si je m'engage dans une action sans que mon âme y soit, alors je ne puis être cette action, mais je suis tout entier dans la teinte de mes sentiments du moment, dans la symphonie des pensées qui me traversent alors et jaillissent de ma source profonde. Le reste, tout cet artifice scénique, n'est que manifestation factice, sourires et courbettes effectuées pour le spectacle, avec pour seule authenticité l'inauthenticité de mon engagement.
Dans le monde je suis une pierre ballottée ça et là par les forces cosmiques. Pourtant, je ne comprends pas pourquoi je persiste à attribuer plus d'authenticité à mes pensées, à cet esprit qui, je le pense, est tout aussi conditionné par les forces à l'oeuvre dans l'existence des choses, lui aussi point nodal où s'enchevêtrent et s'expriment d'innombrables causes aux racines sans âge. Je ne peux malgré tout m'empêcher de me sentir plus proche de mes pensées, je les accepte et je les suis, comme un vêtement incrusté dans la peau - mais de quelle peau parle-t-on? Qu'est-ce qui peut être au fondement de ce JE?
Ce texte est un cri sans éclat lancé du fond de cette fosse que je suis, où bruissent d'innombrables voix qui se touchent et se répondent en des rubans de vie sans gestes, sans manifestation et sans autre public que moi. Je vous en prie, n'écoutez pas le mouvement sans timbre de mes actes, entendez plutôt les notes que chantent mes mots, le rythme de ma prosodie, le jaillissement spontané(?) des fantômes qui me composent, comme autant de fragments étrangers qui, tous ensemble, constituent pourtant ce que j'ai de plus intime.
Et si, malgré ces mises en garde, vous persistez à me regarder vivre dans mes actions, n'écoutez pas le lourd roulement de mes os, voyez plutôt, de loin, avec beaucoup de recul, combien de dissonances harmonieuses se glissent entre mes actes, combien de soupirs qui se répondent en une musique clandestine s'insèrent dans mon curriculum vitae, tous ces silences qui constituent la chair de mon esprit.