Je me lève de ma vie comme d'une nuit où l'alcool a creusé son sillon d'oubli dans la mémoire. Hagard, luttant contre un mal de crâne et des pertes d'équilibre qui me font tanguer sur l'océan étale du sol. Qu'est-ce qui s'offre dans ce jour déjà bien entamé? Un combat douloureux pour évacuer le poison du corps, reprendre les rênes et continuer d'avancer jusqu'à la prochaine ornière, au prochain abîme dans lequel on portera d'abord le regard, l'air de rien, puis au sein duquel on finira par chuter en levant les yeux au ciel pour ne pas voir le fond sans fond - mais de quoi d'ailleurs?
Je me lève de ma vie, vaseux et comme prisonnier de cette trajectoire d'existence, de ces sens humains, de ces idées et sentiments, et de cette antique croyance que ce qui mène ma carlingue usée jusqu'à la lisière incertaine de ce présent n'est autre que le libre-arbitre. Mais je ne suis pas mes sens, puisque je suis capable de le penser, je ne suis pas ces idées et je ne suis pas non plus ce libre-arbitre. Par conséquent c'est bien tout cela qui me mène ici et au-delà, tout cela qui fait qu'encore une fois, je me réveille d'un oubli profond, pathétique et dérisoire tentative de sommer l'existence de livrer tous ses secrets, tentative non assumée de mourir un peu, pour voir...
Je me lève de ma vie, énergique et pourtant sans projet. J'ébroue les quelques restes collants d'une semi gueule de bois qui fait comme des flaques sur le sol, là où passe mon corps. Des flaques inégales de moi-même, des fragments que j'ignore parce qu'ils ne sont déjà plus moi.
Je me lève de ma vie, sans trop savoir comment, sans plus vraiment comprendre qui "Je" est ni pourquoi "Je" fait ce qu'il fait.
Je me lève et je vois ma vie comme un paquet de vêtements froissés à mes pieds qui ne veut plus rien dire. Un paquet de linge sale qu'il me répugne d'enfiler.