Je crois que j'ai élu domicile en quelques mémoires numériques, ballotté par de vertigineuses impulsions électriques, fragmenté en grappes de valeurs binaires se donnant rendez-vous par-delà les continents pour reconstituer une à une les lettres qui me font exister de cette vie virtuelle.
Je crois qu'une part de ma réalité aujourd'hui est aussi virtuelle, codée dans l'infinitésimal de la matière; car je dois avouer, que je me sens un peu chez moi ici, sur cet îlot numérique où viennent échouer mes pensées.
Être de mon temps que je suis, reconstitué non par les courants de quelque mer, mais par le flux éthéré de l'information; être miniature qui court dans des veines minérales; dans quelques fils gainés qui creusent leur lit sous les océans immenses.
Et vous appuyez sur un bouton, n'importe où sur la planète, et me voilà me transportant dans les airs ou dans le cuivre chaud, je vous ouvre la porte sur mon désert intime.
Il est donné à l'homme aujourd'hui d'éclater son existence sous bien des formes inattendues, d'intriquer sa conscience dans les moindres granularités de la matière.
Par combien de lieux que je n'ai jamais visité sont passés les multiples paquets que concentre cette page? Si Galilée voyait cela, il dirait que l'homme s'est incrusté dans la matrice même du cosmos, s'inscrivant dans les lois mathématiques qui régissent le vaste damier de notre espace-temps.
Je vous salue amis, frères d'outre-temps et d'outre-espace, que le virtuel humain aura su concentrer dans un instant-lieu solidaire. Voilà que l'humanité se met à avoir une mémoire plus souple encore que la finesse des pages manuscrites le permet. Puissé-je y avoir me petite et modeste place, moi l'enfant de mon époque, nomade terrestre et pourtant sédentaire numérique.
L'humanité et sa culture sont ma seule origine.