samedi 17 octobre 2015

Être un autre

Comment peut-on à ce point se sentir l'écho de quelqu'un d'autre? Moi qui pensait orgueilleusement avoir arpenté les terres de la réflexion, les territoires fractals de la raison plus que quasiment quiconque ici, je m'aperçois qu'un autre a contemplé ces paysages, et qu'il a, autant que moi et probablement plus, voyagé au loin.

Il n'y a pas jusqu'au style que je ne partage pas (au moins un peu) avec lui. Sans le savoir, à des années de lui, j'ai tenu la même sorte de journal intime, dont le titre qu'il a personnellement choisi aurait dû être le mien.

Chaque fois que j'avance dans ses écrits, je découvre quelque nouveauté qui me le rend plus familier encore. je jouis de cette rencontre, avec la liberté d'y imposer mon rythme propre, je jubile devant les traces d'un homme que la philosophie a lui aussi fini par ennuyer par ses prétentions absurdes.

Comme Pessoa, je n'essaie plus d'expliquer l'inexplicable, tout au plus tenté-je de démêler dans l'enchevêtrement d'une âme quelques filets de mots que l'on peut caresser.

Vanité et poursuite du vent que la philosophie, vanité et poursuite du vent que les ambitions quelconques, nos textes ne sont qu'une occasion de vivre, et non l'imposition orgueilleuse d'une ignorance qui se croit vérité.

Je crois, dans un élan bouddhiste, que je suis la réincarnation possible de cet homme, acceptant alors de na pas avoir la primeur, ni même jusqu'au talent exquis de Pessoa: encore une fois, je marche sur mon ego encombrant et le laisse à terre, inerte et côtes brisées.

Que m'importent ces choses. J'entreprends moi aussi cette autobiographie sans évènements, et peut-être qu'au fond dans cet acte, il ne s'agit que d'une même âme qui vient souffler dans une lignée de carcasses maudites son tourment intarissable, y plantant là, comme seul remède, le plaisir d'exprimer.

Au fond, que m'importe d'être un autre...