samedi 6 janvier 2018

Le trou dans les secondes

J'ai brisé le rythme, n'écris plus, point n'entend le crissement des mots sur la papier des choses. Je suis dans le silence où le film muet de ma vie s'anime, un peu fou et triste sur l'écran de ma conscience. Dieu que le destin est rude lorsque je cesse de chanter. Il me faut refaire le monde, lui tailler une ombre bien ciselée, diaprée de mes pensées mineures. Les ombres sont belles alors, elles n'éblouissent pas, elles ne sont pas ce réel si étrange qui laisse pantois impuissant; elles sont le vent impalpable dans lequel je découpe les décors où je me mets en scène.

Je n'ai plus le goût des femmes de passage, ni des autres d'ailleurs. À chaque étreinte c'est une occasion de parler de toi. Tu es l'ombre de toutes femmes, ombre folle qu'aucune d'elles pourtant jamais ne projette. J'ai parlé de toi, comme d'habitude, parce qu'alors c'est tout ce qui me manque, puis je me suis couché, seul, après avoir reconduit l'inconnue. Je n'aime pas dormir avec quelqu'un. Je me couche enclavé avec une solitude emplie de toi. Immanquablement alors je rêve, oh non que tu dérailles ta vie pour moi, mais bien que tu la continues, avec qui bon te semble; simplement tu reviens me voir et tu me dis, oniriquement, que c'est bien toujours moi, à jamais moi pour toi, absence que la présence d'autres jamais n'efface...


Puis je me lève au matin, dans les draps chauds dans la pièce froide, l'unique pièce où je vois passer les jours, la pluie le soleil au dehors, quand tout ici reste égal. Je me lève dans la tristesse sans musique de tous ces faux souvenirs, de ces fragments possibles qui n'ont pourtant pas eu lieu. Mes oreilles sont bien vides de ces mots que j'attendais du fond de la nuit, mes yeux ne sont pas remplis des tiens qui me chantent si bien l'absurde sentiment qui rend l'homme un peu ivre, et pour lequel on ment...

C'est le moment d'écrire, de transformer l'indifférence des faits (qui ne sont ni indifférents ni des faits d'ailleurs) en poèmes un peu fades mais qui soulagent sur le coup, autant de chants qui gagneraient à rester éphémères, évanouis dans leur instant. J'écris sur ce journal un énième pansement sur la blessure incurable. L'abîme me regarde, tu es un grand trou dans ma vie. Il me faut redoubler d'attention pour ne pas tomber au matin dans ce vortex qui me guette et m'appelle dès que je rôde alentours. Alors je suis la piste des gestes ineptes du quotidien: je bois mon café, j'enchaîne les mouvements et prends le rythme des choses qui t'ignorent. Je laisse derrière moi le trou béant de ce naufrage que je hante en fantôme obstiné. J'y suis bien seul, tu n'y reviens jamais toi, c'est certain. Tu me l'as dit un jour, je m'en souviens très bien...

Heureusement tu vois j'ai ce double destin, ces ombres où je m'abrite, tous ces sentiers de mots qui m'éloignent de nous. Si tu veux savoir ce que je suis devenu, voilà, c'est cela, un chemin de phonèmes qui font de chaque évènement l'objet que je contemple, que je déclame, et dont je me libère ainsi, comme de cette pulsion de mort qui me jette au matin dans notre union défaite. Tu vois je m'en suis sorti finalement, je vis à peu près normalement...

Mais il y a toujours dans mes terres pourtant vastes, l'abîme qui me guette et qui me charme trop tant il arbore tes yeux.