lundi 5 janvier 2015

L'anti-prophète

Aucun de mes écrits n'aura su résister au temps. À l'épreuve de mon jugement tous aujourd'hui échouent, pas un n'aura su résister à l'inexorable force de mon détachement. Fruit de l'éphémère poursuivant l'éternel, vous retournez à l'éphémère d'une joie vécue, d'une beauté fugace qu'un instant a fané. Rien de ce qui est fait par mes mains ne demeure harmonieux et sublime, rien de ce qui sort de ma bouche n'est un chant gracieux et subtile, rien de ce que je fais ne vaut ma peine; et pourtant, je continue à écrire le dédain comme un corps inerte poursuivrait sa trajectoire, vaisseau dérivant vers un but oublié et aussi inaccessible que tous les horizons.

Décidément, je pourrais tout arrêter, épargner au monde la vomissure de mes phrases, de mes lignes, de ces modulations sonores faites pour résonner dans le silence des cerveaux, ersatz de musiques enivrées que rien ne pourra plus faire briller. Ecrire? Moi? Mais pourquoi? Pour continuer à lire seul ces immodestes paroles qui doivent leur puissance à un improbable concours de circonstance qui me fait les lire dans l'état d'esprit bien particulier qui les a vu naître? J'aurais du comprendre bien avant que la beauté que j'y voyais était déjà présente en moi, ce sentiment sublime: un a priori effectif, prêtant à toute chose son intensité. Lorsque je suis dans cet état, je pourrais tout aussi bien observer la fenêtre ou lire la notice d'une télévision que j'y trouverais le même éclat, celui de mon état interne que jamais je n'aurais su correctement exprimer.

Va mon ambition d'artiste! Et toi aussi va femme que j'ai aimé! Allez-vous-en toutes choses que j'ai pu aimer! Je vous libère des lourdes chaînes de ma volonté qui vous liaient à moi pour le pire. Je n'ai à offrir que ce pire insondable, interminable voyage aux tréfonds du pire. Tout dans ma vie n'est qu'augmentation de la souffrance et tous mes efforts pour résorber cette dernière mènent à toujours plus de souffrance, ma science, mon art, mon amour, mon doute, mes croyances, mes peurs et puis mes tentatives. J'ai mené seul cette contre-vie qui est la mienne, tracé obstinément ce sillon de tourment qu'est mon destin.

Peut-être aurais-je au moins l'utilité de signaler à d'autres, et peut-être aux âmes à venir, la route à ne pas prendre, les battements de coeur à retenir, et tous les choix qui font de l'homme un martyr.