jeudi 28 mars 2013

Curriculum vitae

Les oiseaux lâchent des secondes dans un battement d'aile
Les poumons célestes respirent d'un contraire à l'autre
La marche du temps rassemble ses apôtres
Nous sommes ses rejetons infidèles

Nous qui éclatons les barreaux du ciel
Coupons l'atome, assassinant chaque mystère
Nous restons prisonnier d'une geôle immatérielle
À jamais en transit entre lieux et ères.

On creuse la nuit à grands coups de lumière
Mais elle est bien plus vaste que tout l'univers
On perfore le destin, transmuant nos natures
Mais demeurons pourtant les mêmes bâtards impurs

Un cercle, un ensemble infini, une fonction mathématique
Une idée, un rêve, un idéal métaphysique
Et les croyances meurent sous le pas voyageur
Certains persistent et sont le désespoir vengeur

Il m'arrive d'avancer au bord d'une route intangible
De plonger mes racines dans quelque espace interstellaire
Pour toujours me rendre compte que l'ego est infrangible
Alors je rétracte mes antennes et redevient escargot solitaire

Mon chemin de salive est tout ce qui restera derrière moi
Le reflet des étoiles y fera luire mes doutes
Mes vers seront des routes empruntées par personne
Bordées de paysages qui ne suscitent aucun émoi

Que voulez-vous, j'ai cheminé tout seul dans un néant de solitude
Parlant à mon esprit, caressant mon corps, voilà mes turpitudes
J'ai voulu voir ce que le monde recelait sous chaque pierre
C'était toujours un long silence, la réalité préfère se taire

Le silence sait être rassurant quand on ne lui demande rien
Certains hommes sont indisciplinés, parlent sans lever la main
Interrogent, pressent, encerclent, font le tour de leur cellule
Si vous ne dites rien, ils percent un mur, cherchent un crépuscule

Combien assistant à cela préfèrent colmater la brèche
Tels des fourmis reprendre le travail, ne surtout pas vendre la mèche
Nettoyer les traces, peindre un trompe-l'oeil, ne pas devenir fou
Quant à vous c'est foutu, tout n'est plus rien et rien est déjà tout

Il faut marcher, prendre appui sur les nuages, passer au travers
Sur le chemin vous remarquez ce cordon et regardez en arrière
Il part de votre âme et se perd devant, derrière, en bas, en haut
Vous êtes la fleur, il est la tige, les hommes sont le terreau

On vous a mis la laisse, vous les sentez parfois qui tirent sur elle
Vous avez mal au cou, vous suffoquez, vous aimeriez fuir à tire-d'aile
Puis vous finissez par accepter ce sort, vous êtes accompagné de la douleur
Il suffit de regarder ailleurs pour qu'elle s'estompe et perde sa valeur

Ce qui compte c'est partout où le regard se pose, la capture des photons
On peut créer un monde avec ces particules, c'est bien ce que nous faisons
Quelques heurts rétiniens, puis voilà tout un univers de choses au statut incertain
Qu'est ce monde que nous avons tant contemplé, avec tous ces objets lointains

Vous le sentez pourtant sans même savoir ce qu'est la sensation
Vous ne voyez que son passé mais en reste-t-il encore quelque chose
Vos formes a priori de la sensibilité ne sont-elles au fond que des anamorphoses
Ne prenez pas ce train, depuis toujours il ne dessert aucune station

Mais petit homme marche, tire sur sa laisse, part en chasse
Aux particules de Dieu, aux modèles physiques de l'univers
Comment le monde a-t-il pu naître d'une impasse
On s'épuise à chercher le monde qui nous passe au travers

Il vous est bien venu par moment l'idée de ronger votre laisse
Mais une certaine angoisse, un manque de courage, une habitude d'esclave
Vous fait renoncer, vous déchirez votre personne en deux enclaves
L'une qui sourit, porte un masque, et l'autre qui depuis longtemps n'a plus d'adresse

Ça ne fait rien, ainsi va la vie, vivons caché vivons heureux
L'esprit qui se replie sur lui-même telle une lettre prête à poster
Ne sait plus que faire de sa peau, ni même comment l'habiter
L'individu s'annule, l'esprit s'infinise, le corps devient poreux

Finalement la vie finit par s'écouler, pour cause de trop grande vacuité
Vous êtes lacunaire, clairsemé, le destin comme du gruyère
On vous avait pourtant tout donné, un statut, un travail, une pensée déterminée
Vous avez choisi de ne pas choisir, de traverser l'éther

C'est peut-être trop tard, je n'en sais rien, tout s'aérise
Aussi léger que l'air, vos souvenirs s'envolent avec la brise
Vous suivez le passé, il n'y a plus de laisse, plus de présent non plus
L'avenir n'est pas, le temps reste une équation non résolue

Mais qui êtes-vous donc et où êtes-vous donc désormais
Une question peut-être, la courbe infinie d'une interrogation
Plus personne ne vous connaît, vous ne vous connaissez pas vous-même
Mais vous n'avez jamais cru n'est-ce pas qu'il existe une quelconque vérité, le moindre théorème

Pourtant reste ce souvenir entêtant qui s'offre à vous tel un dilemme
Ce souvenir d'un bonheur et de l'authenticité d'un "je t'aime"
Les autres sont partis, ou plutôt ils sont toujours là, sur un temps parallèle
Mais vous ne savez plus les rejoindre, "je" n'est plus qu'une idée impersonnelle

Qu'est cette phrase dont le début s'efface à mesure qu'elle se trace?
L'éclat d'une étincelle, un souffle qui n'a plus la place?
Un curriculum vitae qui s’essouffle, une identité qui se lasse?
Un homme au reflet déclinant et qui brise la glace?