jeudi 8 septembre 2011

Ma génération

Les gens de ma génération et issus d'un milieu social équivalent ont pour la plupart de grandes difficultés à s'insérer dans la société comme ont pu le faire leurs parents. Ceci explique notamment la recrudescence de ces voyages initiatiques dans lesquels s'engouffrent les jeunes après leurs études, parcourant le monde à la recherche de l'homme mais surtout de leur propre bonheur, de la continuité de leur liberté égoïste qui menace à tout moment de s'interrompre. On navigue de boulots en boulots, de partenaires en partenaires, on veut tout voir, tout connaître et tout vivre mais jamais pour la vie, le changement est une sorte d'oxygène pour nous autres que la modernité a sacrifiée. Incapables de choisir puisqu'il nous faut tout connaître.

Naturellement on s'interroge sur cette particularité, sur ce qui nous empêche d'imiter le modèle parental, ce qui nous prive de la stabilité et de cette sécurité dont on se veut les héritiers sans jamais pouvoir payer le prix de celle-ci. Nous sommes issus d'un monde de confort matériel, de familles stables, nos parents ont toujours travaillé et occupé le même poste toute leur vie du long. Eux viennent d'un temps où le temps s'écoule plus lentement, un temps où l'on accepte de ne pas saisir les choses dans cet instantané qui nous a vu grandir. Eux savaient s'en remettre à l'avenir, au futur, d'une part parce que celui-ci ne leur réservait pas autant de surprises qu'aujourd'hui, parce qu'on pouvait l'envisager sereinement, élaborer des projets à long terme, d'autre part parce qu'ils acceptaient qu'une part de leur bonheur ne résidait pas dans l'instant mais précisément dans la construction d'un avenir distant, pas dans leur personne propre mais dans les effets que leur action peut engendrer sur les autres (d'où l'engagement politique). Eux n'ont pas connu la débauche de loisirs, ils choisissaient une activité (et le terme choisir est important) et s'y tenaient, prenant plaisir dans la lente progression de leur être à travers l'action répétée inlassablement.

Nous, nous avons tout eu. Nous avons tout essayé et tout connu. Il suffit de voir ce que nous possédons: des raquettes de tennis, un ballon de foot, un de basket, un ballon de volley, des raquettes de ping pong, une planche de skate et j'en passe. Nous avons tout expérimenté puis nous avons tout délaissé dans ce besoin irrépressible de nouveauté, de dynamisme. Nous avons grandi sur un rythme accéléré, réalisant en trois ans ce qui prenait une vie à nos parents. Et ce décalage a engendré un gouffre, et ce gouffre est notre prison, nous nous y débattons avec notre égoïsme, et nos désirs sans fins. Nous n'acceptons pas l'instabilité liée à la vie nouvelle, à cette vie moderne qui voudrait l'homme adaptable et malléable, mais nous sommes incapable de payer le prix de la sécurité dont nous sommes issus. Nous sommes perdus entre nos racines et ce présent si différent qui voudraient nous arracher à notre enfance et à cet ancien monde qui prendra définitivement fin avec nos parents.

Ce nouvel ordre de la modernité, c'est une vie de solitaires sans attaches. L'homme nouveau n'a pas de femme, il en accumule au gré du temps. Il a des enfants mais ne vit pas avec, il les voit un week-end sur deux. L'homme nouveau n'est attaché qu'à lui même et à son "développement personnel". Mais notre génération qui a poussée dans ce temps mort, dans la latence de la fin de l'ancien monde laissant la place au capitalisme libéral et sa modernité où la vitesse efface tout, n'a pas envie de cette solitude, elle n'y est pas préparée. Nous avons une femme que nous aimons et que nous ne sommes pas prêts à quitter. Nous avons des gens autour de nous et que nous aimerions garder proches. Nous oscillons entre ce désir puissant d'égoïsme total, d'individualisme dans lequel nous avons grandi et cet abandon de soi au profit des autres, cette façon qu'ont eu nos parents d'accepter qu'une partie de leur vie leur échappe au profit du temps et au profit des êtres aimés.

Alors peut-être que pour nous autres, la seule voie heureuse qui nous est ouverte réside en ce pont jeté vers le passé que peut constituer l'enfant à venir. Il est probable que beaucoup d'entre nous soient effrayés par la perspective d'être parents et par les implications terrifiantes d'un tel rôle. L'enfant représente la mort de notre individualisme et notre intégration forcée dans une société qui ne laisse de place à l'indécision qu'à celui qui est seul. L'enfant c'est probablement la seule chose qui puisse nous faire oublier toutes les personnes que nous aurions voulu être, toute les vies que nous aurions pu vivre, cette totalité de notre être après laquelle nous courons dans les bornes d'une vie. L'enfant c'est cette injonction à ralentir un peu, à continuer de faire ce que l'on fait au risque de ne rien connaître d'autre, c'est le don de sa vie au profit de ceux qu'on aime et qu'aucune vertu humaine n'irrigue mieux que la générosité et l'abnégation. D'ailleurs dans cet être à venir et en formation, c'est peut-être la promesse que ce bonheur individuel après lequel nous courons ne viendra pas de nous mais qu'il est extrinsèque. La leçon de nos parents c'est que le bonheur ne dépend pas que de nous mais qu'il réside dans cet amour qui nous unit aux autres et à l'humanité entière.

La nature est si bien faite qu'elle a décidé de placer le bonheur hors de l'homme, dans un dépassement de sa personne le forçant à s'en remettre à demain et à la promesse d'un nouvel être portant à son tour les leçons du passé et l'amour des hommes.