mercredi 2 décembre 2009

Moutons et société

"Sommes-nous des moutons?"

C'était la question posée au dernier atelier de philosophie que j'ai co-animé (avec le professeur de philosophie du lycée où je travaille).

Voici maintenant ce que j'ai à dire sur ce sujet, en réaction à cet atelier et les propos qui y ont été tenus par les élèves.

Il me semble que d'une certaine manière, nous nous comportons en moutons sur beaucoup d'aspects de la vie quotidienne, voire même de la vie spirituelle. Prenons l'exemple de la mode, de nos styles de vie, de nos opinions politiques. Dans une grande majorité, il est indéniable que l'homme répond à un instinct grégaire assez fort, mais la question à se poser est la suivante: "qu'est-ce qui pousse l'homme au conformisme, au suivisme?"

Plusieurs raisons ont été avancées par les élèves, mais le socle commun à toutes leurs réponses est le suivant: les hommes se sentent en sécurité dans la multitude, faire comme tout le monde possède indubitablement un côté rassurant. On peut là aussi faire le parallèle au monde animal pour expliquer ce sentiment de sécurité induit par le suivisme.

Lorsque les moutons se réunissent en troupeau, c'est en grande partie pour optimiser la survie de l'espèce. Le mouton est un animal très vulnérable aux prédateurs (tels que les loups) et un individu isolé aurait tôt fait de se faire dévorer. Le meilleur moyen de survivre lorsqu'on est un mouton c'est d'être bien au chaud au milieu du troupeau de ses semblables.

Maintenant, si on dénonce souvent le comportement de "moutons de panurge", c'est certainement à tort puisque là encore, c'est la survie qui explique une telle attitude de soumission aveugle. En effet, lorsqu'un mouton sort du troupeau ou développe une réaction de peur et s'enfuit, il est tout à fait normal que les autres suivent car l'immobilité constitue un danger, et il y a de grandes chances que le comportement du mouton qui s'affole soit motivé par un danger bien réel que les autres n'ont pas encore perçu. Il apparaît donc normal et même préférable pour la survie de l'espèce, de s'organiser en troupeau à l'instinct grégaire développé.

Cependant l'homme est bien plus complexe qu'un troupeau de mouton, même pris dans l'ensemble qu'il forme à travers la société. D'abord les hommes ne forment pas qu'un groupe et bien souvent se réunissent en "clans", en communautés: communautés religieuses, communautés vestimentaires, communautés idéologiques... À travers ces regroupements, il est évident que l'homme cherche à se construire une identité, et le communautarisme permet à l'individu de substituer l'identité du groupe à la sienne propre. La communauté est ainsi vectrice de valeurs, d'opinions, et d'une apparence aussi qui se manifeste à travers des signes extérieurs multiples (foulard, gourmette, marques...). La communauté donne du poids, de l'épaisseur aux choix, aux traits constitutifs de l'individu, comme si elle assermentait ce qu'il est. Mais la communauté forme un bloc monolithique et n'est pas un ensemble souple qui viendrait s'adapter, épouser l'individu, bien au contraire elle a plutôt tendance à le façonner à son image, à faire de tous ses membres des copies conformes qui agiront effectivement comme des moutons, au nom d'une identité figée qui ne se remet pas en question.

Hors, si l'on se pose la question de savoir dans quel cas une telle forme de conditionnement est utile à l'homme dans son auto-définition, dans l'élaboration de son identité, il apparaît que la période de l'enfance correspond à la situation où ce conditionnement est nécessaire. La formation de l'individu dans la société doit forcément en passer par l'éducation et donc par une certaine forme de soumission à des valeurs, des règles de conduite qui lui sont dictées de l'extérieur. L'enfant, jusqu'à un certain âge a besoin qu'on lui apprenne à devenir homme et ne serait qu'un animal sans cet apprentissage. C'est donc une phase primordiale qui va donner les outils à l'enfant de se construire plus tard en tant qu'homme, et en tant qu'homme libre, en un choix totalement libre et affranchi de ce conditionnement. Pour cela, il faut que ce conditionnement, à partir d'un certain âge, cesse ou diminue, et parallèlement, s'explique lui-même, se révèle à l'homme en devenir qui une fois conscient de celui-ci pourra s'en affranchir et exercer son libre arbitre.

Nous sommes donc des moutons durant toute note enfance, et ce pour le meilleur. Mais nous ne devons pas rester des enfants toute notre vie, et l'homme correctement éduqué (et je parle ici d'éducation au sens large, non pas en tant que simple accumulation de connaissance) doit s'affranchir du "troupeau" et trouver sa propre identité au sein de celui-ci, sans en dépendre. Cela ne passe par par le reniement de la société, bien que cela soit une possibilité pour quelques individus et pour un temps, mais demande un certain courage et une certaine maturité. Il faut être capable de justifier son originalité, il faut être capable de ne pas trouver l'épanouissement dans la reconnaissance des autres ni dans leur jugement, mais dans son propre conformisme à notre éthique, à nos valeurs humaines. En fait, être un homme dans la société requiert d'être autonome mais pas renfermé. Il semble important de rester ouvert aux autres et de les aimer.

Lorsque la solitude (dans tous les sens du terme) ne fait plus peur, l'homme devient alors un membre dont l'identité n'est pas héritée du groupe, mais qui constitue celui-ci. Il est alors possible de vivre au sein de la société et ne plus être un mouton, voici le passage de l'enfance à l'âge adulte effectué.

Nous sommes malheureusement dans une société peuplée en majorité par des enfants qui ne veulent ou ne peuvent pas grandir. À l'éducation maintenant de savoir relever le défi qui lui est lancé.