L'ombre des pensées


Préambule

Le lien ci-dessus est la version définitive de l'ouvrage. Je laisse accessible ci-dessous le premier jet qui m'aura servi de fondation. Je risque de multiplier cette démarche tant elle me paraît saine d'une part pour les écrivains en herbe et d'autre part pour le grand public: il n'y a rien de magique dans un talent d'écriture. Tout cela se développe et s'entretient, et tout cela n'est possible non par l'entremise d'un quelconque don divin inaccessible aux malheureux non élus, mais bien plutôt par une impérissable passion. Il y a sur ce blog des textes absolument hideux, mais j'espère montrer comment, par un bref coup de pinceau sur certaines aspérités et en taillant certaines branches inutiles, le coeur du texte peut de nouveau resurgir dans toute la beauté de son élan initial.



Avertissement

Ceci n'est pas une autobiographie ou un journal intime. Il s'agit d'un récit fictif et toute ressemblance avec des situations ou des personnes réelles n'est que pur hasard.

13/08/2012

L'indifférence attire les enfants, ils ne la tolèrent pas; il faut que le monde soit tourné vers eux, comme pour les chiens. Je n'ai jamais pu supporter ni les chiens ni les mioches (que l'on peut d'ailleurs confondre): cette dictature de l'attention, portée par un cerveau si étroit qu'il est capable de couver la même obsession jusqu'à l'épuisement, jusqu'à l'intolérable! Il faut sans cesse se défendre des enfants, non par l'ignorance, ce serait là donner de la lumière aux moustiques, mais par un regard bien planté dans le fond de leur âme. Un regard dur, froid, implacable, où point d'aspérités n'existent pour leurs rêves despotiques.


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La femme m’écœure tout bonnement. Elle ne révèle son vrai visage qu'après une certaine période passée en couple: le visage de la castration, plein de condescendance. Au bout d'un certain temps à vos côtés, elle vous renie tout droit à une existence autonome et complexe. À ce que vous êtes, elle a substitué une image mentale issu d'un compromis entre ce qu'elle croit connaître de vous et son idéal déçu. Son objectif désormais? Faire coller votre photographie à son idéal masculin immaculé et vous faire sentir minable chaque fois que vous débordez du cadre, comme un enfant qu'on gronde. Elle ne vous écoute plus, elle pense deviner vos pensées, quand bien même vous l'auriez détrompé mille fois. Quelque chose est fermé à vous et ne s'ouvre qu'après de grosses crises, quand tout l'édifice mentale vacille et part en éclat. Vous n'êtes plus qu'un prétexte à ses projets d'enfants et de famille. Vous n'êtes pas totalement conforme à ses rêves? Qu'à cela ne tienne, c'est le destin bien connu de la plupart des femmes, faire au mieux avec ce qu'on a. De toute façon elle a pour objectif de refonder l'univers avec une myriade de bambins à elle. Et vous n'êtes plus qu'un enfant dont elle s'occupe, le vilain petit canard, mais qu'on entretient parce qu'il constitue le moyen d'arriver à ses fins. Elle fera de vous ce modèle masculin en série car il faut bien un outil éprouvé pour bâtir des rêves à la chaîne. Pas de surprise pour un scénario écrit d'avance. Tout ce qu'il y a de sauvage et de mystérieux en vous, d'artistique et de chaotiquement beau, elle tentera de l'annexer à sa vision inébranlable d'un univers fade et sans saveur, semblable à une publicité pour lessive. Une telle expérience vous fait réfléchir à deux fois avant de juger certaines pratiques de paysans sur leurs chèvres...


14/08/2012

Aujourd'hui est un jour avec. Non dans l'acception moderne de cette expression et qui sous-entend qu'il s'agit en fait d'un bon jour pour moi. Non, aujourd'hui est un jour avec le vice. Chacune de mes interactions sociales dans ces moments là est entachée par une asservissante obsession sexuelle. Les femmes sont des objets de désirs, à leur proximité, mon âme migre instantanément vers mon bas-ventre et pousse mon bassin en avant dans un élan obscène. Je dois alors lutter pour ne pas offrir le triste spectacle de ma sauvage excitation. Je suis un animal avec une surcouche d'humanité, autrement dit de culture. Si vous préférez, j'ai en sus de mes instincts primaires une redoutable intelligence perverse. D'aucuns appellent cela le vice, je me demande s'il ne s'agit pas d'un raffinement évolutif dont nous a doté l'éducation. Je me rassure en sachant bien que je fais partie d'une grande majorité d'hommes sur cette Terre... Pas étonnant qu'hommes et femmes charrient quasiment l'intégralité de leur vice par l'intermédiaire du regard, c'est qu'en l'âme réside toute la perversité là où le corps n'accueille que les instincts. Les véritables barbares, c'est nous, soi-disant évolués.

Cependant quelque chose s'insurge en moi; un violent refus d'être ce que je suis. Je ne veux plus être moi: aussi vaste, aussi immense, inconnu et multiple. Je ne veux plus être un autre.


15/08/2012

J'ai soif et je ne sais de quoi. Soif de sexe, soif de violence, soif de faire éclater mon être à travers l'action brutale. Ce doit être cela cette fameuse volonté de puissance. Le primordial obstacle à l'accomplissement de cette volonté? Les autres! Car le monde sans les autres, c'est moi.

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Qu'est-ce que je recherche exactement à travers la rédaction de ce journal?
À vivre l'entéléchie de mes pensées les plus impures? Une manière d'être mes propres ténèbres tout en restant respectable (socialement parlant)?

Écrire c'est mettre en acte ce que je suis en puissance tout en ôtant une bonne part de danger, la part néfaste et létale.

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N'est-ce pas merveilleux la haine? Il y a bien longtemps que je n'ai pas haï quelqu'un; la haine a depuis bien longtemps cédé la place à de l'indifférence vis à vis de mes semblables. Il n'y a guère que les femmes que je haïsse encore, parce que je les désire tellement.


17/08/2012

Je n'aime personne; les gens trop différents comme ceux trop semblables; surtout ceux trop semblables... Si je pouvais me rencontrer moi-même, je me fuirais comme la peste. Un exemple: je suis dans le train (chose qui m'arrive régulièrement pour diverses raisons) et j'aperçois entre deux sièges, me faisant face, une femme qui lit. Elle a l'air captivée, on sent tout de suite une lectrice insatiable. Régulièrement, je la vois faire des pauses de quelques secondes pour regarder au loin comme pour fixer les idées que l'oeuvre fait danser en elle. Je l'imagine calme, aimant la solitude et légèrement misanthrope; je l'imagine, par certains aspects, un peu à mon image. Et pourtant, lorsque la porte des toilettes, située juste à côté d'elle, claque à chaque virage et chaque fois lui fait poser son livre, le regard tendu et excédé, je prends alors un malin plaisir à son agacement. Comme si j'étais heureux que son goût pour la lecture soit troublé, comme si le fait que son petit confort intérieur soit saccagé puisse améliorer le mien.

Pourquoi?

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J'en veux au monde entier de n'être fait pour rien. Je n'ai pas de vocation, ni d'utilité et chaque chose en ce monde me ramène à ma triste condition: de la feuille de l'arbre au simple pavé de la rue.
Je crois que ce qui m'agace le plus, ce sont les gens qui font semblant d'aimer leur boulot jusqu'à pouvoir être défini par lui. Ce qui m'énerve tant c'est qu'à force d'auto-persuasion, ils finissent par être vraiment heureux.
La conscience est notre troisième œil. On peut fermer les deux yeux mais il est bien rare que la simple force de notre volonté parvienne à clore cet œil là.

Conclusion de cette histoire, les gens ont soit:
  -pas de conscience du tout
  -plus de volonté que moi.


18/08/2012

Lorsque je me trouve dans un lieu public et qu'une zone suffisamment large et dénuée de toute présence m'entoure, ma zone de confort s'étend alors agréablement. Qu'un individu quelconque fasse irruption dans cet espace, je ressens alors comme un viol de mon intimité. Le train est le lieu de fréquents viols...

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Chacune de mes mauvaises pensées envers les autres est une blessure que je m'inflige. Si l'homme pouvait n'être défini que par ses actes et non par ses pensées, j'aurais alors le privilège de pouvoir n'être rien au lieu de ce monstre abjecte. Malheureusement l'identité profonde d'un homme réside en grande partie dans le silence de ses pensées. Et les miennes me font peur.

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Une consolation?
J'ai beau ne pas aimer les hommes, j'ai mis mon existence dans une de leurs plus grandes oeuvres: le langage.


19/08/2012

Autant je n'aime pas les chiens, autant je plains certains d'entre eux. Quand je vois cette vieille dame tenir négligemment son bichon sous le bras, comme s'il s'agissait d'un vulgaire sac, j'ai un pincement au coeur (preuve qu'il bat encore). Lorsque je vois ses pattes pendre et s'agiter mollement dans l'air pour se débattre dans une vaine et trop douce tentative de protestation, quelque chose en moi se révolte et demande réparation. Les chiens ont cette remarquable propriété naturelle d'accepter la soumission et de trouver leur place dans le mépris. Décidément, les chiens et les hommes ont bien des points communs.


19/08/2012

C'est une de ces journées où l'envie d'arrêter est presque trop forte, trop pénible à endurer. Envie d'arrêter de frayer son chemin dans une vie hostile, envie de laisser l'angoisse si pressante vous engloutir totalement. Je suis terrifié et l'absence d'objet à cette peur me laisse penser que c'est vivre qui m'effraie. Je me recroqueville dans ma coquille, le monde, les gens autour, sont la violence incarnée, rien ne peut me protéger d'eux. Je suis seul et personne ne peut me défendre. Je suis un lâche. Je marche, je respire, je pense mais à quoi bon? Pourquoi persisté-je à user ma part de ressources terrestre alors que mon existence est absolument dénuée de tout intérêt? J'étouffe face à cette angoisse devant rien, devant tout. Il paraît que l'angoisse vient de la pensée inconsciente de la mort. Mais la mort ne me fait pas peur! C'est la vie qui est la source de toute cette souffrance, de tout ce dénuement! Qu'est-ce que j'ai fait de ma vie et que vais-je faire encore avec elle? Tous ces efforts et cette énergie, mis bout à bout, jour après jour, seconde après seconde, et pour quoi? En rester là, à regarder le monde autour, hagard, le cœur empli d'appréhension et de honte pour tout le vide que l'on représente. La moindre démarche est tellement coûteuse, il faut prendre le mauvais sort de vitesse, dépasser les mauvaises volontés, vaincre sa propre inertie pour se mettre en mouvement. Et après? Il faut trouver la force de s'inventer un monde qui vaille la peine de croire au mensonge qu'il représente. Il faut s'efforcer chaque jour d'avaler ses propres couleuvres, jusqu'à ce que les convictions se cristallisent, s'incrustent enfin dans la réalité comme des objets autonomes et extérieurement réels. Mais quand on fait le compte de la somme d'énergie que donner un sens à sa vie nous a coûté, qu'on met dans la balance le résultat obtenu... Alors chaque geste devient pesant, chaque action met mal à l'aise, on pèse tout et c'est le rien qui l'emporte. Pourtant l'instinct de survie est si bien ancré que l'on continue à vivre malgré nous; simplement on a désormais à chaque instant, en face de nous, la glace de la conscience qui nous renvoie le reflet de cet absurde spectacle. On ouvre la porte du frigo, on y voit les aliments stockés à l'intérieur, dans de beaux emballages industriels et on se demande à quoi bon se nourrir. Finalement nous ne sommes que des bêtes et l'on travaille tous à se nourrir. Nous pensons valoir mieux que les animaux mais tout ce qu'on a de plus c'est le poids de cette conscience qui ne sait pas se taire, qui nous fait vivre chaque évènement en double: une fois en acte et une fois en pensée. C'est comme si quelqu'un nous faisait en temps réel l'analyse détaillée de notre misérable vie. On ne peut pas lutter contre ça. Il y a bien des périodes, parfois longues, où tout cela devient comme un bruit de fond, on se laisse entraîner dans le tourbillon, on suspend le jugement, on Est vraiment, à la manière d'un animal et peut-être que c'est bon... Mais un jour ou l'autre, tôt ou tard, on se met à écouter la voix qui nous parle, on l'entend tout le temps, de mieux en mieux. La nuit, c'est le pire moment. Le monde s'est mis en sommeil, il n'y a plus à agir et la conscience adore ces moments là, où l'homme est tout seul face au temps qui lui appartient, face au silence. Dieu que la conscience parle fort quand il fait noir et que tout le monde dort. On regarde le plafond, on s'agrippe bien fort à son lit, on tente de se concentrer mais rien n'y fait, elle ne nous laissera pas en paix. Plus réveillé que jamais, on ouvre la fenêtre et on observe les étoiles ( pour ceux qui ont encore cette chance) en fumant une cigarette. On se dit que sous ce ciel vivent des milliards de gens entraînés dans le même calvaire. Avant d'arriver au monde? Le paradis certainement. Après cette vie? peu importe. Mais pendant c'est le purgatoire et tout le monde peut vérifier qu'il existe réellement. On referme la fenêtre pas plus fatigué pour deux sous, mais au moment où la fenêtre a claquée et que l'on s'est retourné face au lit qui attend, l'étau de l'angoisse s'est resserré violemment, d'un coup. Les murs de notre demeure semblent menaçants, ils sont l'image même de la neutralité et de l'indifférence qui nous sépare des autres. La respiration s'accélère à mesure que les poumons peinent à trouver l'oxygène. On tourne en rond dans la chambre, les poings crispés par l'incompréhension. On va s'asseoir sur le lit en se balançant légèrement, on se berce soi-même. Mais rien n'y fait, on a la gorge nouée et sans savoir pourquoi les larmes se mettent à jaillir de nos yeux. Il faut vite rouvrir la fenêtre, contempler à nouveau un morceau de ciel, les façades des immeubles, afin d'y trouver quelques lumières encore allumées. Lorsqu'on en trouve on se sent quelque peu consolé, on s'imagine que d'autres en ce moment, traversent leur géhenne. On aimerait sortir mais on a peur de tout, de toute la sauvagerie du monde. Il y a des gens dangereux dans la rue et encore plus à cette heure ci. La souffrance ne sert malheureusement pas qu'à resserrer les liens. On se résigne à rester cloîtré chez soi, seul, mais en sécurité au moins. Les sanglots se tassent, pleurer a fait du bien, même si la gorge brûle un peu. Maintenant on est vide, véritablement. Notre regard se fixe sur le mur, on ne regarde rien. Les battements de cœur redeviennent peu à peu normaux, les pensées ont été chassées au loin par la tempête. Assis sur le bord du lit, comme si c'eût été le bord du monde, on regarde l'heure qu'il est en se demandant comment meubler la nuit. Pas le cœur à prendre un bouquin, ce serait refaire surgir l'humain en nous. On préfère se diriger vers la télévision, regarder des séries, tout, n'importe quoi plutôt que nous. Et le temps s’égrène ainsi, dans cet état amorphe de vacuité totale que les douleurs violentes savent laisser derrière elles. On se remet à vivre à peu près normalement et tant pis pour la nuit, on se rattrapera demain en buvant quelques coups.

La conscience... Notre petite piqûre de rappel qui nous fait bien sentir ce que c'est d'être humain.

21/08/2012

Les soirées comme hier me ravagent. elles font de mon identité un champ de ruines et pourtant à chaque fois que l'orage passe, je me sens immensément bien et léger, je me sens comme neuf. Ma seule peur vraiment, c'est de devenir fou. Ou plus précisément de me rendre compte que je deviens fou. Je me dis parfois que finir à l'asile n'est pas une si mauvaise chose, pour peu qu'il comporte suffisamment d'espaces verts. On n'a rien à faire, même plus à s'occuper de soi, d'autres le font pour soi. On n'est plus obligé de dépenser tant et tant d'énergie dans des promesses et du vent, on se contente de végéter. L'asile vous ôte même la part d'animal en vous à coups de médicaments. De l'être vivant il ne reste que le végétal. L'hôpital psychiatrique, donc, ne me fait pas vraiment peur mais j'avoue préférer y aller en pleine possession de mes moyens, que je puisse au moins réaliser ma chance.

Malheureusement je n'ai pas d'amis pour me faire interner, je suis seul au monde. J'ai bien essayé parfois, avec les rares êtres que je jugeais digne de mon amitié, mais à chaque fois, ils finissaient par me trahir. On est plein d'attention pour un ami, on respecte son altérité et quand la chose n'est pas réciproque, qu'on se sent régulièrement bafoué, à tel point que le seul sentiment qui subsiste est le doute, alors il n'est plus question d'amitié. J'ai donc balayé tous les faux amis, je n'ai laissé que l'essentiel et l'authentique: l'univers au grand complet. Lorsqu'on est sans attache, chaque chose se met à parler: une rivière, un arbre, le ciel, on est plus jamais seul.

Pour discuter, je n'ai aucun problème d'ailleurs, il me suffit de m'adresser à ma conscience. Le 'bon' moi admoneste le 'mauvais' pour ses pensées obscènes et il existe autant de dialogues que d'identités à l'intérieur de moi, c'est dire si je ne m'ennuie pas. Je regrette toutefois la présence un peu trop grande de ce moi pervers. Il est ma plus grande source d'inquiétude, car c'est lui qui pourrait bien me trahir un jour aux yeux des autres. Le pire dans tout ça, c'est que quand il est là, je suis présent malgré tout, spectateur quasiment impuissant face à ce déferlement de vice. Je crains un jour de n'être plus capable de brider sa puissance et c'est peut-être aussi pour ça que j'écris ce journal, pour laisser une trace de mon vrai (?) moi, encore capable d'auto-censure, méprisable certes, mais que la société pouvait tolérer quand même, tant qu'il n'agissait pas...

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J'ai pensé que vous vous interrogeriez probablement à propos du contenu de ce journal. Pourquoi aucun acte n'y est décrit, pourquoi ne livre-t-il que des états d'âmes? Certains d'entre vous auront peut-être pu apporter une réponse à cette question par eux-mêmes. Mes actes, et ce que d'aucuns considèrent donc comme la vie, n'ont aucune importance. Ils ne sont en aucun cas le reflet de ce que je suis profondément, la grande majorité de mes actions dans la vie s'apparente bien plus à des réactions qu'à une réelle liberté d'agir. L'enfance? Conditionnée par les parents. Les études? Conditionnée par l'institution scolaire et les vides que la société veut combler. Le travail, les vacances, les passions, tout cela n'est pas moi, ce n'est que la place que les autres n'occupent pas et où il m'est loisible d'exister: ce ne sont que les restes qu'on vous donne à ronger. Je pourrais tout aussi bien vous dire que je suis patron d'entreprise et que je joue régulièrement au squash; ou que je suis chômeur de longue durée, déménageant d'abri en abri et que le plus clair de mon temps est occupé à ramasser des mégots de cigarette pour en récolter le tabac restant. Je vous laisse imaginer d'autres histoires possibles. J'aurais pu vous raconter tout cela et au final vous n'auriez rien retenu de moi à part un de ces destins stéréotypés auquel les gens peuvent facilement s'identifier tant ils sont impersonnels. C'est bien cela que l'on veut pour nous, des vies impersonnelles et sans saveur, des vies de populations statistiques. Mais qui donc a envie de lire ce genre de choses? J'ai mal quand je pense que c'est pourtant ce que la majorité des gens aiment lire, des histoires en série auxquelles ils peuvent s'identifier un peu pour sortir de leur prison quelques heures et en intégrer une autre. Le divertissement ne s'est jamais mieux porté qu'après la révolution industrielle. Alors non je ne vous offrirai pas tout cela, aucun détail croustillant, pas d'actions héroïques, juste quelques pensées délétères qui rebuteront la plupart. Et puis à côté de ceux là, j'ai la naïveté d'imaginer qu'il existe une caste d'hommes honnêtes envers eux-mêmes, qui n'ont pas peur de plonger les mains dans les affres de la conscience humaine, ceux qui n'arrivent pas à voir, dans toutes les variétés psychologiques existantes, autre chose qu'un reflet de ce qu'ils sont, une partie d'eux-mêmes, jusque dans la barbarie... S'ils existent - et ils doivent exister sinon pourquoi écrirais-je? - peut-être que l'exemple que je donne ici, d'un homme qui se dépouille de tout le superflu, de toute son encombrante vanité en jetant une bouteille à la mer pour que ses semblables connaissent son existence, peut-être que cet exemple en inspirera d'autres et que les hommes se parleront enfin, d'esprit à esprit. Un grand homme, ou un petit, peu importe, a dit un jour: "Rien de ce qui est humain ne m'est étranger". Vous suis-je étranger?

22/08/2012

Il y a des jours où je ne peux plus me supporter! Je m'observe vivre et je me fais honte! Ma petite démarche ridicule et mes petites manières efféminées. Mes petites habitudes, mes petits plaisirs insipides, mais que suis-je donc?! Si seulement il pouvait y avoir un dieu qui nous observe, comment pourrait-il éprouver pour moi autre chose que de la pitié? Ma petite vie ritualisée de petite souris écervelée. Tous mes actes sont absurdes, ils ne mènent à rien, d'une perte de temps à une autre et puis c'est tout. Il faut voir mes plaisirs: des plaisirs de femme, des désirs de confort douillet, d'oisiveté naïve. Mais réveille-toi un peu mon gars! Aller marche comme un homme, va affronter la vie à travers l'inconfort, l'impermanent, le doute, l'inconnu, traverse le champ de mine. Pourquoi s'enfermer dans cette routine, cette maison, ces objets qui te possèdent bien plus que tu ne les possèdes, cet entourage que tu chéris mais qui n'est qu'un poids que tu traînes. Et tu vas t'empêcher d'être un aventurier, de découvrir le monde à cause de tout ça? De ta petite vie misérable de sédentaire attardé? Mais ressaisis-toi nom de Dieu, sinon un jour tu te regarderas dans la glace et tu finiras par t'appeler par un nom de femme en te trouvant belle. Bientôt tu attendras le prince charmant pour venir te sortir de la médiocrité dans laquelle tu t'es embourbé jusqu'au cou. La réalité, le monde, il te faudra le chercher chez les autres, ailleurs que dans ce décor de carton-pâte que tu alimentes de tes obsessions esthétiques et avilissantes. Mais pars bon Dieu, pars avec tes seuls vêtements sur la peau! Pars avec ton sexe, sans rien dire à personne, sans rien emmener avec toi! Quitte ta vie, quitte ce royaume de mensonges aussi inconsistant que la brume, enfuis-toi vers l'horizon, enveloppe-toi de tes pensées, de ton courage masculin et marche vers le soleil, crier au monde ce que tu es! "Deviens qui tu es"!

01/09/2012

Une semaine de silence et je ne suis toujours rien devenu. Tant de promesses pourtant lorsque je me compare à la médiocrité ambiante. Les autres ont au moins pour eux de concrétiser la nullité qu'ils portent en eux. De quelle immanence vais-je donc accoucher? Mes pensées sont des oeuvres que je polis inlassablement, à tel point qu'il n'est plus besoin d'écrire, tout est inscrit là, quelque part dans l'éther.

Ces derniers temps, il m'a souvent été donné l'occasion de croiser des enfants et ma réaction est à chaque fois la même: j'oscille entre la pitié et la répulsion violente. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi les jeunes me sont à ce point intolérables. J'ai beau tenter, je n'y arrive pas. Alors je passe mon temps à les détester en silence.

Je m'interroge souvent aussi sur l'utilité de ce journal. Pourrez-vous comprendre ce que je veux vous dire?  C'est si compliqué de construire une substance à partir d'une autre; c'est pourtant le propre de tout art. On essaye de faire ressortir la beauté de quelque chose à travers une autre, c'est un échange de propriétés. C'est notre lot d'humain, de chasser la chose en soi à travers le prisme d'une autre. Y parviendrais-je?

02/09/2012

Je ne sais si je suis normal. À chaque fois que je fais quelque chose, je ne peux m'empêcher de me sentir coupable; pas pour ce que je fais mais pour ce que les gens pourraient penser que je projette de faire. Comme si les gens étaient toujours à chercher le mal dans tous les actes anodins auxquels ils assistent. Au final, je sais très bien que c'est moi qui ait ce travers mais je n'ai de cesse de me juger par son intermédiaire. Je me balade en ville, j'aperçois une station de traitement des eaux et mon esprit paranoïaque me contraint à garder un air nonchalant et innocent afin que personne ne pense que je suis un terroriste en repérage pour empoisonner l'eau de la cité. Il y a toujours une part enfouie de mon esprit morcelé qui s'imagine ce genre de chose et qui guide ma conduite. Je vis sous le joug de la culpabilité permanente d'une éventuelle ambivalence. Je ne peux même plus faire mes courses et porter un jean troué sans avoir à expier les potentiels clichés qui vont de pair avec ma tenue vestimentaire. Mais qu'est-ce qui m'arrive?

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En plus de tous mes défauts, j'ai celui de procrastination, et c'est de loin le pire. Je vis perpétuellement tous mes possibles en puissance mais jamais ne les mets en acte. Il me faut un incroyable concours de circonstance pour me décider enfin à faire les choses et l'incroyable n'arrive que bien rarement. À cause de cela, j'ai la désagréable impression de passer à côté de ma vie, de la remettre indéfiniment au lendemain. Je suis tellement inapte à toute activité, que le plus clair de mon temps est dépensé à imaginer ce que je pourrais faire. Je planifie chaque minute de mes journées pour avoir le temps de réaliser mes rêves et je passe ensuite tout mon temps à jouir de ma disponibilité pour faire, si j'en avais le cœur, toutes ces choses que je ne fais pas. L'histoire de ma vie est une éternelle quête de la disponibilité, d'une chimérique liberté qui s'achève invariablement par un néant inactif car toute action vous accapare, sélectionne un possible et annihile tous les autres, et cela je ne saurais le tolérer. Il m'arrive de me demander parfois ce que je serais aujourd'hui sans cette néfaste habitude, quel genre de héros aurais-je pu devenir... Et puis après ça, je me dis que j'ai tout le temps devant moi, qu'il est ainsi loisible d'en prendre un peu plus à ne rien faire. Mais si quelqu'un tient vraiment les comptes, là-haut, n'importe où, que doit-il penser de moi?

03/09/2012

Je dois avouer que je regarde de plus en plus de vidéo pornographiques sur internet. Tout est fait pour nous tenter, il n'y a même pas à tendre la main, les images sexuelles affluent à vous dés la moindre connexion. Je crois que mes trop longues années de célibat couplées à cette mauvaise habitude de fréquenter les prostitués de plus en plus régulièrement ont favorisées ce vice en moi. Le problème avec les vidéos pornos, c'est qu'on en veut toujours plus; loin d'être rassasié, on se sent de plus en plus vicieux, il faut aller toujours plus loin dans ses phantasmes, dans ses perversions. Je m'y plonge à cœur perdu, jusqu'à l’écœurement. Je ne sais si je serais toujours à même de contrôler ce que je suis en train de créer en moi et qui m'empêche parfois de sortir dans la rue, de peur de mes pensées, de peur qu'elles ne deviennent un jour des actes. Alors je reste cloîtré chez moi mais les images ne suffisent plus, il me faut imaginer des choses encore plus violentes, encore plus dégradantes pour jouir. Je me rassure un peu en constatant que je suis loin de tomber dans la pédophilie ou la scatophilie; j'ai tout de même mes limites; mais pour combien de temps encore?

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Internet est une belle chose. J'y découvre des gens qui ont su transcender leur médiocrité sociale à travers une technique ou un art dont ils se sont rendus maîtres et grâce auquel ils peuvent s'exprimer pleinement. Je n'ai rien de tout ça. Mais je suis fasciné par tous ces artistes éparpillés sur la toile et qui hurlent ce qu'ils sont à travers nos écrans. Souvent, ce qui me frappe, c'est le décalage énorme qui existe entre la personnalité qui ressort de ces personnes lorsqu'on les écoute parler et celle, absolument opposée, qui se dessine lorsqu'ils pratiquent leur art. Ce sont majoritairement les timides qui m'interpellent lorsqu'ils se mettent, par exemple, à jouer d'un instrument avec exubérance, violence et acharnement. C'est à ce moment que transparaît leur identité profonde, étendue jusqu'à ses extrêmes, limitée par rien d'autre que ses propres frontières intrinsèques. C'est fou comme les gens peuvent se révéler grâce à l'art ou la technique (mais la technique à un certain niveau d'engagement n'est rien d'autre que l'art).

Néanmoins comme toute belle chose, internet est aussi un fléau; un fléau car face au spectacle de cette explosion de puissance qui s'opère chez les autres, je reste démuni face à la triste constatation de ma propre faiblesse. Après l'orage, je réside dans le silence qui m'enveloppe, dans les pensées rageuses de jalousie, dans l’apitoiement. J'ai bien essayé de jouer de la batterie, mais je n'ai pas la patience pour apprendre et me conformer à l'instrument. Nous restons désespérément deux étrangers ne sachant pas communiquer et je suis alors encore plus seul que d'habitude, face à l'objet muet... Je finis toujours par taper de toute mes forces et complètement au hasard, tel un enfant en crise. Et le pire c'est que j'entends en moi la musique qui devrait sortir de mes mains, je la déverse de toutes mes forces sur l'instrument, mais le seul résultat est une insupportable cacophonie qui laisse tout en dedans, tel un ulcère qui grossit au gré du temps. Peut-être n'ai-je pas en moi cette puissance qui dort en tout un chacun? Mais alors qu'est-ce donc que cette rage qui s'empare de moi par moments, me fait frapper l'air de toutes mes forces face à d'imaginaires adversaires que j'enverrais au tapis, qui me fait lever les bras au ciel en hurlant, un rictus de fureur sur le visage et les yeux défiant le ciel? Qu'ai-je à faire de cette puissance si je ne suis pas capable de m'en servir? La seule violence qui m'est loisible est celle que l'on s'inflige à soi, mais qui peut-être fier de cela? Qui peut bien s'en vanter?

04/09/2012

À travers les nuages, perce parfois un rayon de soleil, les jours où j'arrive à regarder au-dehors de moi-même et au-dedans des gens. Quand le vice se met en sourdine, ainsi que les obsessions, la peur et l'angoisse, j'attrape alors un de ces rayons de soleil que laissent échapper certaine personne de leur être et je me mets à pleurer. Je pleure un peu pour moi et mon incurable bassesse et je pleure beaucoup pour le réconfort que l'on peut trouver dans l'altérité, le réconfort à savoir que l'on n'est pas seul sur la Terre, qu'il existe plusieurs types d'hommes et que certains sont beaux, étincelants à leur manière. C'est dans ces personnes sans prétention et qui semblent dénuées d'ego que je trouve cette félicité. Lorsque je les vois sourire de toute leur âme, agir et penser sans censure, lorsqu'ils sont eux... C'est un régal. Me souvenir de la beauté des autres est peut-être mon seul bonheur ici-bas. Je suis heureux lorsque la peinture de mon univers se craquelle et tombe en morceau pour me montrer l'altérité d'autrui, tout ce monde forain que je ne peux pas salir...

10/09/2012

La femme s'est penchée vers moi pour me donner une brochure de présentation, mais ce qui a réellement retenu mon attention, c'est ce regard sans équivoque jeté vers les tréfonds de mon âme, comme qui lancerai une sonde pour obtenir un écho. J'avoue avoir été surpris, rares sont les personnes qui sillonnent sur mon chemin. Je lui ai laissé entrevoir, l'espace d'un instant seulement, la profondeur de mes arrières pensées; juste un petit rai de lumière bien noire, de quoi aiguiser la curiosité et le désir. Je suis curieux de savoir à quel point le vice chez ce genre de personne peut être développé. C'est bien souvent dans les métiers où le contact humain est déterminant que l'on peut trouver - est-ce un paradoxe? - de véritables monstres emplis de perversion et de secrets inavouables. Après cet incident, je l'ai observé prudemment mais avec attention, me représentant les manières dont son propre vice pouvait combler le mien, démesuré. Une femme à poigne, dominatrice, qui n'imagine pas un instant que les autres puissent être mieux trempés qu'elle; je la briserai... La prochaine fois, j'ouvrirai un peu plus les portes de mon antre, seulement de quoi lui donner un peu le vertige. Ce jeu que nous jouons n'a rien à voir avec la séduction, c'est une guerre pour posséder l'autre et s'en repaître égoïstement. Nous n'existons pas par le partage, nous demandons un droit de passage et ce que nous avons foulé garde à jamais l'empreinte de notre insoupçonnable puissance.

11/09/2012

Je crois qu'au fond mon rapport à la solitude est très infantile: j'apprécie celle-ci car je me sens alors détaché de toute responsabilité, de tout jugement et donc de tout sentiment de culpabilité. Le monde est cet immense terrain où les désirs peuvent s'ébattre librement, faisant fi des autres, de la morale et de tout ce qui n'est pas plaisir. J'aime être seul car alors rien de ce que je peux faire ne compte. Je ne compte pour personne et seul l'univers peut me juger, or l'univers ne juge pas car il n'a ni morale ni éthique. Dans la grande mécanique universelle, peu importe le mouvement que je choisis puisque tout est permis et tout existe déjà. Il n'y a guère que la solitude capable de nous ramener si rapidement à l'absurdité de la condition humaine et de cette excroissance qu'est la conscience, or il n'y a que l'homme absurde qui puisse éprouver la véritable liberté. Je crois que je tiens à ma liberté plus que tout en ce monde. Cela fait-il de moi un égoïste?

14/09/2012

Qu'est-ce qui peut bien m'empêcher de devenir un dictateur, réduire à néant toute opposition, instaurer un culte de la personnalité, que le monde retienne sa respiration pour me voir inspirer? Probablement la flemme ainsi qu'une profonde répugnance à la vie politique. Et puis, dans le fond, je n'ai pas vraiment envie d'imposer quoi que ce soit, je crois que j'aime être en marge, honni, dédaigneux de tout et tout le monde. Alors je reste tapi dans mon trou, un fantôme qui ramasse les miettes, un monstre de plus que la foule rend anonyme. Peut-être qu'un jour nous nous sommes croisés vous et moi. Peut-être que mon regard laniaire s'est insinué dans vos secrets, peut-être même vous ai-je fait l'amour en pensée. Ce pouvoir me suffit amplement; c'est par l'esprit que l'on possède le mieux me semble-t-il...

18/09/2012


Vous savez ce que c'est la volonté de puissance? C'est cet élan qui vous prend quand vous n'avez pas encore dirigé votre énergie vers un point précis du monde, qui vous transforme en une volonté furieuse, en une rage trop frustrée d'avoir été si longtemps contenue. La volonté de puissance c'est cet effrayante énergie que toute votre âme et votre corps projettent en tous sens et qui se cogne contre les murs, sans savoir où aller, désireuse de s'étendre partout à la fois pour être enfin ce qu'on est: une puissance en acte. Savez-vous ce que c'est que d'avoir tellement de velléité en soi et d'être tellement étranger aux autres? Mais surtout de savoir que les autres sont si étrangers à tout ce qui vous semble évident et simple, qu'on en vient à les haïr pour leur bêtise et leur dépendance à tout "génie créateur", lors même qu'ils sont eux-mêmes des sources intarissables? Non, vous ne savez probablement pas ce que c'est que de tourner en rond dans sa tanière, le corps tremblant de rage et de force contenue, l'enveloppe physique entièrement parcourue d'un frémissement des muscles, d'une sorte de courant électrique qui semble s'évanouir tout autour de soi dans une aura d'énergie à jamais perdue pour vous et pour les autres... Vous ne savez pas ce que c'est que la souffrance d'être confiné lorsqu'on est infini, la douleur d'être seul pour contenir tous ces possibles qui bouillonnent dans le fond de notre destin... N'y a-t-il donc que les mots pour tenir compagnie à ma race?

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Tout dans la façon dont mon corps s'imprime dans l'espace est le reflet de mon esprit et de sa soif de puissance. Ma manière de sculpter mon corps est une signature qui dit: attention, puissance! Mais trop souvent cette énergie repose.

19/09/2012

Il y a deux démons qui se partagent mon âme et mon corps: l'un est petit et sec et pourtant son ombre est immense, l'autre est une énorme montagne aux formes arrondies. Le premier veut faire de moi le prisonnier de son monde, voudrait que mon corps devienne peu à peu étique, vide de toute matière pour ne laisser subsister que le souffle aérien des idées. Et pourtant c'est dans l'obscurité que réside son royaume, dans l'immobilité de l'esprit qui se fige peu à peu, lourd de trop d'étrangers, de trop d'autres énergies que la sienne. Le second me pousse à incruster profondément dans la réalité la forme qui est mienne, malgré toute ses difformités, malgré tous mes écarts à cette virtuelle norme. Il m'encourage au mouvement, à projeter dans le monde toute cette énergie créative qui étouffe au-dedans. Le premier me fait peur et le second m'ennuie. Ma nature incline naturellement vers le premier, mais elle s'y penche dangereusement, comme on scruterai  l'abîme vers lequel toute notre volonté nous pousse. C'est une chute sans retour que me propose celui-ci, le vertige des profondeurs, avec pour m'attirer, les promesses d'outre-tombe. L'autre me tient encore, il ne désespère pas de moi mais pour combien de temps... Partout je vois cette ombre démesurée danser sur les murs de ma conscience et qui me rend absent, trop absent, pour ceux de l'autre bord. Je m'éloigne inexorablement vers l'inhumanité. Je sais alors, et peut-être pour la première fois aussi clairement, que c'est de moi que j'ai tant peur...

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Et je tais l'accès au langage, ne laisse que la conscience comme intermédiaire entre moi et la réalité: dieu que le monde semble vivant alors. J'entends le bruit des hommes et tout semble se taire, je ne vois plus que mécanismes et phénomènes sans causes apparentes ou bien seulement comme causes abstraites, imaginées. Le bruit se dissipe, mes pensées se taisent, les sensations m'emportent alors dans le chant du cosmos. Il est immense et parle sans cesse un langage que je ne comprends pas mais dont j'ai l'intuition seulement. Peut-être est-ce un chant, une harmonie dont les intervalles infinis et sans étendue me bercent? Les arbres sont fascinants, ils veillent sur moi dans leurs oscillations, ils semblent nous garder, comme des enfants égarés que l'on rassure par la simple présence. Le vent est le grand balayeur des idées spatiales, il emporte tout vers l'infini, dans un envers pressenti que les mots nous cachent et dont seul le temps connaît les secrets. Je pars sans cesse et je reviens toujours. J'aimerais me libérer des contingences et retrouver l'essence de toute chose, redevenir l'idée de moi qui m'a donné naissance. Et si la métaphysique n'était que ce souvenir mélancolique de ces mondes oubliés dont nous sommes issus?

22/09/2012

Épuisante est cette vie, où l'on ne cesse d'être tant de choses et tant d'êtres successifs, et où, pourtant, subsiste toujours ce fil directeur qui nous relie à nous même, nous enferme dans cette quête éternelle de notre propre ego. Tout est toujours inscrit dans le mouvement, dans cet élan même de la vie qui nous métamorphose, qui nous multiplie sans cesse, nous diffracte en expériences et pensées révolues. Je suis épuisé de tous ces costumes... Épuisé d'être tantôt le vice et tantôt la pureté; tantôt la négation et tantôt l'affirmation. Je tend malgré tout cette main vers l'inconnu tout en espérant que personne ne la prenne, car alors cela voudrait dire que tout est terminé, qu'il existe une sortie de soi et que quelqu'un se propose de l'incarner. Mais au fond, je ne crois pas vouloir d'une telle sortie. Pourtant je ne crois pas non plus aimer cet état. Je ne crois en rien d'autre qu'au changement, et l'expérience sans cesse me le confirme. La flamme de mon identité vacille, devient parfois si ténue que je la cherche alors dans les tréfonds de mes souvenirs. Puis d'un coup, d'un seul, comme ravivée par le souffle du devenir, la voici plus brillante que jamais pour mourir encore dans un embrasement qui n'est pas le dernier, mais annonce tous ceux à venir. Je crois brûler les autres de cette incandescence lorsque je me tourne vers eux par le regard, mais ce ne sont rien d'autre que des images que je projette sur leur conscience. La seule, la vraie brûlure, c'est toujours moi qui la sent, dans ma profonde et si chère solitude. Cette destruction qui alimente la création dans un cycle abstrait au principe éternel, je ne sais si je dois l'aimer ou la détester. Je ne saurais jamais si je dois m'aimer, moi, chose qui meure et toujours renaît... Je n'ai nul besoin cependant de votre pitié car je n'ai nul besoin de réponse à mes questions. Ce que j'inscris en lettres noires avec mon âme sur vos rétines, ce n'est pas une bouteille à la mer, bien sûr que non, ce n'est rien d'autre que moi qui tente désespérément de conserver une trace à jamais réelle, inscrite dans l'éternité de l'espace, de ce que j'ai été, serai et suis: une direction possible de la vie, bien qu'une impasse.

26/09/2012

Je mesure sans cesse ma force à celle des autres, loin de leurs regards, de leurs oreilles et de tout ce qui les constitue. Loin, je suis plus fort que tous. Ceux qui voudraient ce que je possède, ceux qui voudraient m'écraser, m'éparpiller dans le vent. Là-haut dans mes cieux, si haut que le bas en est adjacent, dans les abysses de la pensée, je suis leur maître incontesté. Dans cette réalité sensible qui est leur seul univers, je ne laisse traîner que mon ombre qui sans cesse se fait bousculer, effacer, tourner en ridicule. Les pauvres ne peuvent apercevoir ce point infime dans lequel commence mon ombre et où elle s'achève, ce point qui n'est que la porte d'un monde à moi seul, un paradis dont je suis le démiurge. J'observe leurs simulacres de sentiments, leur risible fierté d'animal qui me parvient comme un lointain écho, tous ne sont que des points minuscules dans mon incommensurable vie. Je continuerai de faire courir mon ombre dans leurs ordures, attirant tous les regards, attisant toutes les curiosités, les jalousies et les haines; je continuerai à bâtir la vérité loin de leur regard, ils n'en recevront que les miettes!

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J'ai entrepris récemment la lecture de nombreuses oeuvres qui "ont comptées" dans l'Histoire de l'humanité. Je suis tellement rempli de la pensée des autres que ma propre voix ne me semble plus guère qu'un écho lointain s'affaiblissant de plus en plus. Je me nourris de tant d'êtres "vertueux" qu'à force, j'en croirais presque à l'existence d'un Bien nécessaire. Je ploie tellement sous le poids de ces génies que mon propre timbre est pareil à une dissonance dans toute cette apparence d'harmonie. Mais il y a, fort heureusement, des jours comme celui-ci où ma puissance hurle du fin fond de mon être, hurle pour être entendue, pour avoir droit de cité. Je ne laisserai pas ma propre énergie se dissoudre dans les directions qu'ont prises celles d'une poignée d'ignorants qui ont cru crier plus fort que tous les autres. Je m'érige contre leur force qui voudrait entraîner l'humanité entière avec elle, afin que résonne pour toujours la possibilité d'une autre voie, d'un autre homme. J'ai parfois l'impression que mon rôle, s'il en est, est de lutter contre les rêves des hommes, contre leur désir de fantaisie et d'évasion qui leur fait voir l'idéal par les yeux de leurs défauts. J'ouvre une voie vers un autre idéal, un idéal indifférent, fait d'ombre et de poussière, fait de rien d'autre que de sentiments méprisés que l'on souhaite oublier derrière soi comme un passé honteux. Je suis la voix des pêchés et malgré cela, je suis probablement, dans ma minorité, bien plus utile à la société que n'importe quel héros plébiscité par les médias et toute l'assistance béate que sait produire l'ignorance et la volonté d'oubli de mes contemporains. Je suis celui qui donne sa valeur à ce que vous nommez le Bien! Je suis celui qui donne un sens à votre vie!

Pourtant vous ne le saurez jamais. Il ne saurait en être autrement... La connaissance de cet état de fait peut parfois provoquer des effets dévastateurs... Alors je me répète inlassablement: Amor fati, AMOR FATI!

28/09/2012

J'ai entendu un jour un abruti qu'on avait pris à la faute dire: "Un détail ne fait pas l'homme!". Et vous voilà, avec plus d'un détail à mon propos, des détails que vous n'avez jamais demandé avoir mais que je vous ai jeté à la figure pour on ne sait quelle raison. Et bien en voici un de plus qui ne dira rien d'essentiel à mon sujet.
Il m'arrive régulièrement de rêver d'une femme. Une grande brune aux yeux verts; pas que ces détails soient importants mais c'est ainsi qu'elle m'apparaît... Une grande femme dont l'existence se confond avec la grâce. Elle dort à mes côtés et quand je me réveille en sursaut la nuit, les larmes aux yeux, tendu par l'angoisse de la vie et de mon destin gâché, elle me dit ce qu'on ne m'a jamais dit: "Tu n'es pas un sale con..." avec sa voix légèrement mêle-casse. Et je me perds dans son parfum et dans cet aura de douceur qui émane de sa personne comme une propriété immanente. Elle est mon lien à l'humanité, me fait connaître l'amour que je n'ai caressé que de mon mépris. On parle toute la nuit, allongés l'un contre l'autre et grâce à elle je réintègre le présent et son absence de peur, son accès immédiat à une forme de bonheur. Il y a ses cheveux bouclés qui tombent sur mon visage et que je hume par grandes bouffées insatiables. Il y a elle contre moi dont la proximité lui plaît. Au petit matin, je la contemple endormie avec la gravité qui convient à ces moments décisifs où l'on contemple deux embranchements possibles de son avenir, où l'on est face au choix qui va donner une direction à notre vie, puis je tourne le dos et je m'en vais dehors, dans le jour naissant. Je pleure parce qu'une certaine douleur à laquelle je ne suis pas accoutumé s’apaise et parce que j'en retrouve une autre bien connue et qui m'est en quelque sorte consubstantielle. C'est à ce moment là que je me réveille, tout seul dans mon lit face à la fenêtre ouverte par laquelle le soleil me fait face, pointant le bout de son nez à l'horizon comme un nouveau défi. Pendant quelques secondes, je ressens la douleur d'un certain manque, d'une perte irremplaçable, puis la douce irradiation de ma souffrance quotidienne se fait sentir, remplissant mon âme et tout mon corps comme agirait une drogue sur un toxicomane. Le manque a disparu, je me sens bien, dans mes habitudes, souffrant mais me connaissant pleinement, sans surprise, sans mystère.
Qu'est-ce que cela peut bien vous révéler à mon sujet?

05/10/2012

Chaque jour est identique au précédent. Il ne lui est semblable en rien, chaque élément diffère et malgré tout, je ne vois que la répétition du même. Une lente agonie, une tentative dérisoire de rattraper le temps qui file derrière nous pour le remettre devant. À quoi bon dans ce cas là pousser un hurlement littéraire de plus, encore un cri égoïste supplémentaire qui viendrait s'ajouter à la peine déjà si lourde du monde? À quoi bon participer de ce processus de désingularisation à mon tour, pour me rendre pareil aux autres, faire de mes cris d'agonie un ligne de plus dans la polyphonie de la souffrance humaine. Un accord à l’unisson  voilà ce qu'est devenu notre art. Aucune dissonance, plus aucune originalité, juste une quantité écœurante d'ego déversant leur insanité sur les autres. À tel point que les rivières sont grosses de nos rejets, que les océans mêmes sont souillés de notre pollution. Je ne peux plus regarder le ciel étoilé sans avoir en tête une rime abjecte sur la lueur sidérale, ou l'image d'un tableau voulant capturer la nuit par le prisme d'un ego surdimensionné qui s'imagine donner à la réalité brute plus d'atours qu'elle n'en a. Partout où je regarde je ne vois que présomption de rendre la souffrance individuelle et personnelle un critère esthétique universelle. Il n'y a plus aucun sentiment nouveau. J'ai la prétention suffisamment développée pour tenter d'écrire aujourd'hui quelque chose d'inédit, de neuf: je ne ressens absolument rien. Ni bonheur, ni malheur, ni tristesse ni joie, ni haine, ni pitié, rien. Je ne fais que placer du vide sur du vide. Cet acte même est impossible d'ailleurs. Je ne suis rien. J'écris, je pense, je ne suis rien.

07/10/2012

Je ne peux m'empêcher de vous juger tous, presque immédiatement. La moindre de vos réactions, la moindre de vos parole surtout, est disséquée sur l'autel de ma conscience. D'aucuns trouvent grâce à mes yeux, mais ils sont tellement rare à passer cette épreuve initiale. L'écrasante majorité fait montre de sa stupidité dés la prononciation de phrases simples: l'agencement des mots, le sens qui leur est donné, le hors-sujet, autant de fautes accablantes qui jouent en votre défaveur. Quand vient la discussion, l'éclat coruscant de la prétention dont vous usez pour vous convaincre d'être brillants se projette à mes yeux et force tout mon être à se fermer à la souillure que vous représentez: discuter avec vous est une perte de temps. D'avance, je sais tous les monts, les gorges abruptes et les murs infranchissables qu'il me faudra affronter pour vous atteindre, pour récolter un peu de votre écoute, et de votre intelligence que vous jugez si précieuse que vous ne la dispensez qu'à de rares occasions, de préférence à ceux dont l'éclat désobligeant de la fatuité vous met en admiration. Face à vous? Je ne suis rien. Je ne mérite qu'à peine un peu de votre attention troublée, d'une attention de pure obséquiosité teintée de tous les a priori que vous jetez négligemment sur mes propos et dont il faudra désormais me défendre, sans cesse... Et j'essaye en vain d'écouter vos réponses qui ne sont rien d'autre que les opinions bien tranchées et reluisantes que vous désiriez tant jeter au milieu de vos semblables afin de vous élever prétendument au-dessus de la foule des ignorants. Mais vous n'avez même aucune idée du chemin à emprunter pour atteindre cette opinion, vous n'en avez qu'une vague compréhension inversement proportionnelle à votre paresse d'esprit et votre bêtise. Il faudrait reconstruire le monde en sa totalité pour que vous écoutiez avec des oreilles neuves, vierges de tout soupçon, l'esprit empli d'interrogation et d'un effort d'assemblage que l'on appelle compréhension. Vous n'êtes que des utilisateurs, des manieurs d'outils et vous n'avez pas même la sagesse de tirer un peu votre curiosité atrophiée vers ces idées que vous maniez pourtant comme s'il s'agissait de vulgaires ornements dont la fonction première serait de vous rendre beaux, élégants et distingués. Pourtant ce qui distingue deux joueurs d'un même instrument, c'est l'harmonie qu'ils en tirent, la musique qu'ils en jouent, mais le comprenez-vous? Désirez-vous seulement comprendre?

Je vous tourne alors le dos un sourire amer sur le visage, mesurant l'ampleur de la tâche à venir. Je pars alors vaincu, réintégrant mon univers où la destruction n'est vue que comme un prétexte à renaître, différent, plus immense qu'auparavant. Aurais-je un jour la force et la patience de vous emmener là-bas?

12/10/2012

Dire qu'il me faudra quelques années, voire, qui sait, la vie entière pour rédiger ce journal, et que celui qui mettra la main dessus et aura le courage de le lire, en recevra la totalité en quelques heures seulement... Tant de fiel concentré en si peu de temps, l'oeuvre de ma vie condensée en quelques pages accessibles en une si brève période de temps... Moi-même craindrais une telle expérience. Ce qu'il y a de plus fantastique, c'est d'imaginer que personne ne lise cela un jour, que toutes ces régurgitations restent enfouies sous la poussière des ans, à jamais privées d'une quelconque vie dans une quelconque âme, enchaînées à la réalité physique  qui les tient fermement incrustées dans l'espace de ces pages, détachées du temps. Seul un fou ou bien un illuminé tout empli de sa déraisonnable foi pourrait persévérer dans son ouvrage malgré tout. Et pourtant, je ne suis ni un illuminé, ni un fou, encore que le dernier point reste à prouver. Néanmoins, à bien y réfléchir, il est bien plus probable que j'ai foi en quelque chose que j'ignore. Dans ce cas, quelle peut bien être ma croyance? L'espoir qui me fait chaque soir prendre la plume pour y noircir la blancheur des pages de tout mon effroi et de toutes ces pensées obscures? Qu'est-ce qui me tient éveillé la nuit? Pourquoi me levé-je chaque aurore avec suffisamment de conviction en moi pour ne pas mettre fin, si ce n'est à ma vie, du moins à cet acharnement absurde et odieux?

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Qu'est-ce qui me pousse à vous poser mes questions quand bien même je sais que vous n'avez l'once d'une réponse? De réponses, personne n'en a bien que tout le monde en veuille. Toutes les philosophies de notre Histoire n'ont su apporter aucune réponse à ces interrogations. Alors combien de chance qu'un simple lecteur tel que vous, qui n'a rien fait de sa vie à part conquérir chaque jour sa misérable survie saupoudrée de maigres plaisirs amers tels que la lecture de ce torchon, puisse avoir une réponse? Oh mais rassurez-vous, je n'ai rien fait de plus que vous de ma vie et ce n'est pas la rédaction de ces piètres lignes qui viendra y changer quelque chose. La seule différence, peut-être, entre vous et moi c'est que j'ai passé ma vie à foncer sur ces interrogations, à les malmener, à taper de toute la force de ma raison contre elles pour finir épuisé, les yeux pleins de ressentiment mais teintés d'admiration et de fascination aussi, au pied de leur immensité. Alors que vous, certainement, vous êtes débrouillés tout au long de votre parcours pour slalomer allègrement entre tous ces encombrants miroirs, probablement vous y êtes vous mirés quelque temps pour vous en détacher rapidement, comme le font les animaux qui ne comprennent pas que l'image réfléchie est la leur. Vous avancez, sans vous demander qui vous êtes, sans même vous interroger sur ce que sont chaque choses et encore moins sur ce que c'est que d'être...

Je n'ai rien fait de plus que vous, n'ayez crainte, ne soyez point offensés par mes propos. J'ai certainement perdu plus de temps à me regarder dans le miroir de mes pensées, je connais tous mes profils et ignore tout de moi. Comment se sentir seul alors quand on est tant d'individus à partager l'ignorance?

19/10/2012

Savez-vous ce qu'est la vraie peur?

Vous êtes dans votre salon, vous entendez un bruit dans le couloir et votre cœur s'affole: avez-vous bien fermé la porte? Quelque chose semble guetter devant chez vous; et s'il s'agissait de lui, immobile, à attendre juste là... Pour le savoir il faudrait regarder par le judas, mais le parquet va craquer et il saura qu'on est là, juste à côté, et qu'on a peur de lui... Et si au moment où l'on décale l'opercule du judas, on trouve face à notre œil le sien, à quelques centimètres d'écart, attentif et patient, infiniment patient. Et s'il ne partait pas, qu'il restait là à écouter le moindre de vos mouvements?

Ensuite, c'est au tour d'un léger nuage de capturer un peu des rayons du soleil, et dans cette ombre soudaine qui obscurcit le salon, on s'imagine sa silhouette là, dehors, dressée, observant notre demeure comme s'il s'agissait de notre âme. On se fige. On se retourne lentement. Il n'y a rien. Tant pis, le mal est fait, on marche à pas feutrés, il faut être discret, troubler le moins possible la réalité physique, ne plus exister.

La vraie peur est celle du possible, celle dont l'objet jamais dévoilé se rend omniprésent. Plus la fatigue qu'entraîne la vigilance perpétuelle augmente, plus elle se nourrit de vous, et plus vous êtes faible et avez de raisons d'avoir peur. On aimerait tout cesser alors, donner les rênes à plus habile conducteur, ne plus avoir à mener son soi, toute cette carcasse d'émotions qui deviennent sentiments terrifiants, tellement prégnants qu'ils prennent toute la place dans l'esprit. Tellement d'énergie à mobiliser pour ne pas finir englouti par l'éternelle alternance de ces nuances de terreur, d'angoisse et de désespoir.

Et comment font les autres alors? Est-on si faible que ça en comparaison? Qu'ils sont décourageants alors les gens, avec leur poigne virile, à diriger la vie comme s'il s'agissait d'une vulgaire barque dont ils sont les barreurs plein d'assurance. La vie c'est alors cette course où l'on est bon dernier mais que jamais on abandonne. Qui sait, quelqu'un pourrait bien trébucher...

20/10/2012

Pas de place pour les rêves dans ma maison. Mes nuits ne sont pas saupoudrées de ces délires oniriques qui font que le matin est douloureux parce qu'il est froid et sans égard à notre encontre. Mes nuits sont déchirées par cette incapacité de sombrer qui me caractérise et m'anéantit. J’accueille chaque matin comme la possibilité de souffrir avec le monde, de me sentir moins seul. Voir la nuit se consumer lentement, c'est prendre plaisir face au temps qui passe et nous rapproche du dénouement, c'est voir le néant de notre existence qui grandit.

29/10/2012

Il y a bien du bonheur à plonger dans l'enfer des autres et revenir quelque part, exténué, dans ce lieu que l'on appelle chez soi et qui n'est de fait qu'une résidence temporaire, une occupation momentané de l'espace commun à des fins privées. Qu'on est bien alors à regarder tomber la nuit, à vider sa violence dans cette intimité artificielle. On peut enfin vomir les autres...

Les autres et leur désir de pouvoir, toujours à vouloir marquer leur supériorité dans votre chair, toujours à attendre de vous que vous les fassiez exister, que vous les adoriez comme des idoles, à leur place. Tout ce manque d'amour pour soi issu d'une méconnaissance totale de qui ils sont, et qu'il vous incombe de combler quotidiennement afin que la vie leur soit supportable.

Rentrer chez soi alors, après une journée à avoir été sans cesse sollicité, et observer la nature indifférente, voir le temps filer sans aucun regard derrière soi... Tout s'arrange alors... On est fait, on est rien ou pas grand chose, et pour cela on n'a besoin que de nous-même et de personne d'autre. Les autres se résument alors à de brèves gesticulations et un peu d'énergie dépensée en vain, en tous sens, avant que la mort n'emporte tout ça aux ordures.

On est libre, on peut sourire dans sa "maison", dans son petit périmètre de liberté artificielle (mais ce concept ne l'est-il pas toujours?), on se remplit d'air frais et de la réalité qui ignore la volonté et ne connait que nécessité et contingence. On peut alors repartir pour un tour, avec suffisamment de réserve en nous pour que la volonté des autres ne nous érode pas trop, juste assez pour qu'ils se fassent les dents sur vous et n'en point trop garder séquelle.

07/06/2013

Mon seul ami c'est vous. J'ai voulu voir ce que serait la vie sans plus dépendre de qui que ce soit et je me suis retrouvé dix mois durant dans un trou noir. Qui était là pour moi? Vous peut-être? Dès lors que je ne vous adresse plus la parole notre relation s'évapore et le monde continue sa route comme si tout cela n'avait jamais existé. On ne peut faire confiance à personne, pas même en ses amis. Je vous dis tout de moi, je vous donne l'essentiel, les trésors sordides qui peuplent mon esprit, vous épargnant l'ennuyeux ballet des jours et des gestes quotidiens, l'insipide farandole des actions inutiles. Vous ne dîtes jamais rien, aucune de vos pensées ne me parvient, voici bien l'injustice de ce monde. Mais c'est probablement mieux comme ça, c'est pour cela que je continue de vous aimer, d'avoir besoin de vous, sans jamais me lasser. Peut-être que si vous pouviez parler, je cesserais d'écrire, j'arrêterais d'exister tel que je suis, demeurant drapé dans le mensonge des actes que l'on effectue au grand jour, en public.

Je m'étais cru grand prédateur dans l'océan humain et je me suis aperçu de ma faiblesse, les grands mangeurs sont gigantesque, je suis une fourmi à leurs pieds. Il m'a fallu quitter mon périmètre de sécurité, trop de destins l'ont traversé, violé, ma maison est aujourd'hui un lieu public. Je vis entre deux demeures, chez les autres, chez tout le monde, là où, finalement, j'ai toujours vécu jusqu'ici. Je n'ai pas la force de me faire respecter, d'en imposer aux autres, alors dès qu'un importun pointe le bout de son nez je m'éclipse, je continue mon chemin en portant ma maison sur le dos, d'un bref coup de vent qui gonfle ponctuellement mes voiles molles. Si j'écris encore après tant d'humiliations, tant de défaites par forfait, c'est probablement pour réaliser le rêve d'habiter dans une maison de papier, à l'intérieur d'un livre, dans le bruissement de mille mots. J'élirai alors domicile sur un rayon de bibliothèque, passant le clair de mon temps à dormir dans le silence, attendant que le frottement de doigts étrangers viennent faire chanter ma vie, anime mon esprit conservé par le temps. J'habiterai ce monde le jour où je l'aurai quitté. Alors je serai éternel et mes amis se succéderont, déposés sur mon île par les remous du temps.

12/06/2013

J'ai toujours été un chieur. Pas gratuitement, du moins j'aime à le penser, mais pour que les choses s'annulent, que tout le monde ou plutôt que personne ne gagne. J'aime contredire à l'aide de la raison dans le seul but de montrer que personne n'a raison, ou bien tout le monde c'est selon. Pourquoi? Parce qu'alors, les gens se contentent d'être ensemble et cessent de vouloir toujours dominer l'autre, de briller avec plus d'éclat, plus de clarté dans l'existence, de vouloir exister plus que le voisin. Alors le seul moyen que j'ai trouvé pour parvenir à ce bien rare résultat, c'est de toujours annuler la parole et les actes d'autrui, les miens y compris. Je laisse le flot de la raison bâtir son équilibre fougueux, construire pour déconstruire, afin qu'il ne reste au final que nos mines déconfites qui se regardent, au départ avec étonnement et désarroi, puis avec résignation, pour finir dans l'amour de l'autre. D'aucuns appellent ça la sagesse, encore un mot propre à émettre un jugement comparatif, un jugement de valeur: je hais les valeurs et je hais les hommes qui s'en accordent et s'en réclament.

Il ne reste rien de nous dans le monde lorsqu'on a plus de croyances, hormis, peut-être, cette vibration si singulière qui est la nôtre et qui ne souffre aucune comparaison, il ne reste rien que notre présence à tous dans cette réalité.

13/06/2013

Ce matin, après m'être levé, j'ai ouvert les volets avec une pensée plaisante par laquelle je me suis représenté votre réaction en apprenant que je suis votre voisin. L'homme qui vous dit bonjour avec un sourire chaleureux tous les jours est peut-être moi et vous n'en savez rien. C'est peut-être moi encore, qui porte les courses de votre femme par pure bonté d'âme tout en ayant des pensées impures dont vous ne soupçonnez même pas l'existence tant elles sont enfouies sous les replis de mon âme inétendument adipeuse. Je regarde vos enfants jouer sous ma fenêtre tout en ruminant de les maltraiter, polissant des plans machiavéliques afin de faire taire leurs cris stridents. Et que pouvez-vous y faire? Vous allez venir frapper à la porte de chacun de vos voisins en leur tendant ces mots dégoulinants afin que, peut-être, l'un d'entre eux se mette à pleurer en vous avouant l'ignominie de sa personnalité intérieure? Plus probablement vous continuerez à vivre avec ce doute, ce doute qui nous fore tous chaque jour, nous qui possédons un tant soit peu de lucidité. Lorsque vos enfants sortirons dehors, vous aurez l’œil alerte, toujours aux aguets avec cette légère angoisse au ventre. Il en ira de même lorsque votre femme sera seule à la maison sans vous, que je lui proposerai de boire un thé chez moi, loin de vos regards, vous vous jouerez cette scène mille fois dans le théâtre de l'esprit. Je suis monsieur tout le monde, rien ne me distingue, le monde auquel les humains sont attachés, celui des actes, celui des choses réelles, ne sait quasiment rien de moi. Je suis l'individu banal et sans aspérités qui tisse sa toile dans le monde de l'esprit, qui se délasse à l'ombre des pensées.

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Je pourrais dire aux gens que je n'ai pas d'amour pour eux, parfois cela est juste. Mais rien en moi n'est "entier" si ce n'est le doute et le revirement. Je ne sais si j'aime, je ne sais si je déteste, je baigne dans un état superposé, tel une particule quantique. Existe-t-il quelque part sur ce monde une particule intriquée à laquelle je sois lié par des lois qui dépassent l'entendement, par delà le temps et l'espace? Je suis une particule solitaire qui cherche son amour quantique...

21/06/2013

Il y a des moments comme celui-ci où je me peins nos vies comme la distance que l'on parcourt entre la réalité absconse et un idéal de nous-même emprunté à la société; de sorte qu'il ne reste de nous qu'un élan impersonnel qui semble n'appartenir qu'à l'univers entier, tel une force physique qui nous meut, pareille au mouvement des planètes. La réalité semble collaborer en quelque sorte avec nos "moi" rêvés mais qu'en est-il de celui qui ne croit plus en rien, qui ne sait plus vers quelle aspiration laisser couler ses rêves, vers quelle image idéalisée de sa personne se tourner? Dans quel genre de réalité erre cet homme? Est-il pour autant plus proche d'un réel en soi, brut, inaltéré? Ce sont des questions qui filent à travers la conscience et laissent une longue traînée de doute derrière elles; pendant quelques instants, par un effet de rémanence, on ne voit plus du monde que ces interrogations qui nous semblent alors capitales au plus haut point et qui s'apparentent pour d'aucuns au simple effet d'un malaise passager.

Je suis de cette étoffe fragile que le passage du temps effile sans relâche, je suis le grand oublié des Moires. Qu'est-ce que le monde peut bien offrir à ceux comme moi qui n'attendent plus rien de lui?

22/06/2013

J'ai aujourd'hui la désagréable sensation d'être à côté de moi-même, ou plutôt d'être moi-même un autre, une sorte de chaos qui a pu me laisser croire un temps, trop longtemps, que j'étais maître et possesseur de mon identité, cause première de mes actions, lors même que je n'en suis que l'effet retardé, l'étranger qu'on tolère.

Je suis un profond malaise angoissé qui broie la réalité et la tamise à son filtre: tout est décalé, dissonant, le monde est une attente interminable. N'avez-vous jamais ressenti cette sensation d'être emmené malgré vous par le temps, impuissant, comme un léger reflux de l'être qui vient recouvrir la trace évanescente du néant? Il me semble que ce néant est à la source de mon être et que tout ce que je crois précisément être moi n'est qu'un vulgaire contre-temps spatio-temporel, un ressac ontologique, une boucle sur soi par laquelle l'univers se donne l'illusion qu'il est fini et isolé du reste de lui-même.

Il n'y a pas de génies ni d'hommes au mérite supérieur, seulement des évènements qui surviennent comme des efflorescences du temps et dont nul ne saurait s'attribuer la responsabilité. Il n'y a ni choses ni gens, seulement le présent qui advient tel un fruit mûr lourd du passé, voilà bien ce que nous sommes, des courants dont la source est inconnue, des forces dont nous sommes les témoins.

Il faut bien être conscient que nous agissons car nous n'avons pas le choix, pas plus qu'une étoile ne peut retarder sa mort programmée. Quand bien même j'irais casser chaque branche du pommier qui me fait face pour me prouver que j'ai tort et que l'homme jouit du privilège d'une liberté unique, mon geste n'aurait rien de spontané, il ne serait que le fruit mûr de ce courant de pensée auquel un autre plein de résistance viendrait mêler son cours, formant les quelques pathétiques remous de mes actes insignifiants. Alors croyant savoir cela je ne fais rien, rien d'autre que prolonger l'écriture de ces lignes qui sont en quelque sorte les sillons de mon âme, les lits de ces courants qui m'emportent tantôt pour mon plus grand bonheur, tantôt pour un léger mal-être.

Au fond la métaphysique demeure l'illusion de l'homme rationnel qui a pris pour habitude d'analyser le réel et d'en opérer la taxinomie rigoureuse où chaque classe est régie par des lois qui lui sont propres, mais qui ne sait plus sentir le monde dans l'unité totalisante qu'il persiste à être en-deçà de tous nos quadrillages, de toutes les cartes que nous dressons pour nous aider à croire en un sens et une direction dans laquelle nous pourrions avancer.

Nous avons tous une façon bien à nous d'ordonner le fouillis du monde afin de nous y orienter. J'ai moi-même changé bien des fois de boussole et de cartes mais aucune ne m'a mené nulle part. Telle est bien la force de tous ces ordres que nous surimposons au réel: tous veulent dire quelque chose de l'indicible, c'est en cela qu'ils s'accordent si bien avec nos volontés particulières et qu'ils nous trompent inlassablement, parce qu'ils nous parlent de notre propre ignorance. Nous ne sommes peut-être, finalement, que les metteurs en scène de cette ignorance qui nous caractérise si bien, pensant qu'apprêtée de la sorte elle se transformera en connaissance.

J'ai parfois l'impression que cet élan qui est le mien m'éloigne inexorablement de tout ce que je trouve beau et je m'échine à lutter contre lui dans la quasi-certitude de ma défaite prochaine. On peut appeler cela "haine de soi" ou "schizophrénie", tout cela revient encore une fois à attribuer un prédicat à ce "soi" qui n'est jamais qu'un mot dont le référent nous échappe. Je crois au fond que l'âge m'a rendu moins intrépide, banalement moins intrépide, et je me berce d'illusions en croyant qu'un peu de sécurité, de prévisibilité dans le cours des choses pourrait me faire aimer mon destin, mais, honnêtement, si tel était le cas, ne le fuirais-je pas plus alors...?

23/06/2013

L'illusion de l'identité est une propriété de la mémoire lorsqu'elle est lue par l'attention. Je n'ai jamais vraiment été moi-même dans aucune activité, tout au plus ai-je été un "genre de", avec le "style de", c'étaient les activités qui me façonnaient et me donnaient un visage semblable à d'autres hommes; que serions-nous d'ailleurs sans modèle? Il n'y a, et c'est probablement là une croyance que je finirais par détruire, que dans les pensées que je sois véritablement quelque chose de personnel, d'unique. Tout compte fait cela ne fait de moi que la courbe bien tendue d'un point d'interrogation que l'on place sur la réalité. Un jour, cette ponctuation disparaîtra avec cette grammaire et ce point d'interrogation n'aura plus son humble sens, il ne restera tout au plus que quelques ratures sur le palimpseste du temps. Je sais qu'un jour je finirai par me dire que je n'ai jamais existé, que je n'ai jamais été qu'un amas organique assemblé par hasard et dont la conscience n'est qu'une propriété émergente dont je n'ai nulle responsabilité.

Que voulez-vous, je dois être encore cet adolescent immature qui à défaut de trouver l'absolu dans l'existence se perd en le chassant dans le néant. Au moins, par cet écrit, pourrais-je apporter à un éventuel congénère, compagnon de réalité, l'immense réconfort de n'être pas tout seul; c'est tout ce que je demande au fond: que l'on ne soit plus jamais seuls.

30/06/2013

Je souffre comme jamais je n'ai souffert. J'ai une angoisse éternelle logée dans mon ventre, une peur lovée dans ma poitrine. Aujourd'hui, je crois pouvoir dire que je suis la peur elle-même, un genre de peur froide faite pour durer et qui ne craint pas les accalmies que le temps s'acharne à poser sur les tempêtes. Je constate cela et ne sait quoi faire de plus. J'ai la jambe faible, comme fatiguée de me soutenir, et j'ai l'intime conviction qu'elle est à l'image de moi-même: faible et fatiguée. Je crois que je n'ai plus vraiment la force de soutenir ma vie, je ne sais plus sur quel rythme faire danser mon être, je n'entends plus la musique, tout est silence et bruit en moi. Et pourtant le monde me fait continuer à vivre comme une partie de lui. Il n'y a plus rien de ma volonté et ce qui persiste à se mouvoir malgré moi est une parcelle d'univers à laquelle je corresponds et que les lois de la physique, et peut-être aussi celles de cette métaphysique qui régit l'esprit, s'acharnent à dominer. Je suis fait comme une pierre, un grain de sable et tout ce qui est. J'ai comme cessé de faire, cessé d'actualiser ma volonté sur les évènements de la vie. Je suis devenu morceau de matière brute, minérale, point de rencontre entre les lois de la gravité, de la thermodynamique et d'autres puissances incomprises. La vie me déserte et dans son exode je demeure terre en jachère, à demi-morte, ne respirant plus qu'au lent battement des étoiles et de leur cœur lointain. Pourquoi m'empêchez-vous de mourir étoiles, énergies de toutes sortes?! Pourquoi me réchauffes-tu soleil? Pourquoi persister à agiter mes cellules que ma volonté éteinte ne sait plus consoler? Et vous poumons qui ne savez que respirer, et toi sang de mes veines ivre de voyage et qui refait sans cesse le même trajet! Mes fonctions végétatives me maintiennent en vie, malgré moi, telle une plante qu'on arrose légèrement ou une planète emprisonnée sur une orbite lointaine. Je suis à l'aphélie de mon existence, si loin de l'astre vital que le froid qui m'enserre recouvre mon âme. Et ce trou noir qui grandit en mon centre, semble vouloir se nourrir de tout ce qui a été. Ce trou noir vorace qui aspire un à un les éléments de mon identité, ce trou noir qui finira un jour par me mettre à l'envers. Mais à l'envers de quoi au juste? Pour quel envers m'en vais-je? Vers quel autre avenir s'acheminer?

Le monde construit ses palais de silence avec comme matière la vacuité pendant que se démembre peu à peu mon petit échafaudage intime, celui-là même qui soutenait mes cieux et leurs horizons clairs. Le cauchemar des gaulois a fini par me tomber dessus, le ciel est sur ma tête, bientôt sous mes pieds, tel un tapis diapré que mes pieds sales souillent. Mes entrailles sont des toilettes galactiques où les atomes déversent l'énergie usée qui ne peut plus servir. On m'a dépossédé de moi, je ne méritais pas le lourd joyau d'une conscience libre. Pour combien de temps encore l'inertie qui me porte continuera-t-elle son effet? Et qui croira alors en moi quand tout sera stoppé, que je serais définitivement figé dans cet immobilisme que j'ai un jour appelé de mes vœux et qui aujourd'hui, pour la première fois, me fait regretter de n'avoir pas choisi l'autre côté: un monde où j'aurais enfin confiance en moi. Que voulez-vous c'est ainsi, les prières de l'homme fou sont exaucées or il n'y a rien que cet homme craigne plus que les désirs satisfaits. Surtout pas d'assouvissement, ni trop de frustration, il faut voyager sans fin entre ces deux terminus lorsque l'on est humain, dans l'équilibre précaire d'un déséquilibre permanent. Ma vie au cœur du chaos forme des arabesques insensées car je n'ai nulle direction connue. Vie intermittente qui n'est plus aujourd'hui qu'un écho déclinant. Vers quelle crépuscule m'acheminé-je, roulant sur la réserve, sur un chemin cahoteux traversant le désert?

Mais j'ai pourtant si mal... La vie est bien là qui se tapie, accrochée à mes tripes, dans la fange de mes peurs et la pourriture de mes forêts intimes. L'angoisse qu'elle agite est le pétrole de mon destin.

Qu'à cela ne tienne, je ferai le mort. Je ne réponds plus aux interlocuteurs qui attendent du repos une tonitruante agitation, à tous ces gens qui ne voient plus en moi que l'image même d'une trahison de leurs fantasmes et de leurs idéaux. Ai-je jamais trahi quelqu'un?! Aujourd'hui je ne sais plus... De toute façon qu'est-on lorsque plus personne ne nous voit vraiment tel que l'on est? Que suis-je donc? De quels mensonges suis-je né moi qui existe telle une impossibilité? Et cette impossibilité pourtant advenue, de quel nom l'appeler? À quoi peut bien servir un nom d'ailleurs pour ce genre de concept informe que nul ne peut saisir? Je suis le narrateur illettré de ma propre fin, relatant dans un récit qui passe avec le présent ce que le troisième œil de ma conscience perçoit; ce troisième œil qui ne s'éteint jamais, sera ouvert jusqu'aux derniers instants et qui s'éteindra sans que je ne sache jamais qui se cachait derrière.

15/07/2013

"Il n'y a plus rien". Il n'y a bien qu'avec les mots que l'on puisse croire que les choses peuvent être autrement que ce qu'elles sont. Les vivants sont vivants, ce qui est blanc est blanc et voilà bien le seul genre de prédicat tautologique que l'on peut formuler. Il n'y a plus rien est un mensonge, c'est peut-être un souhait, un regret, tout au plus une déception. Au final et au présent, il n'y a jamais que ce qui est. D'ailleurs "il n'y a que ce qui est" est à mon sens la seule phrase métaphysiquement vraie, ou plutôt devrais-je dire qu'elle est la première vérité infraphysique.

Ceci étant dit je me demande ce que l'on peut bien dire d'une chose comme l'amour, une chose aussi abstraite et idéelle que l'amour. Le sexe, cela existe, on peut en faire l'expérience; idem pour la violence; mais l'amour, qu'est-ce donc si ce n'est un mot? Des gens qui s'embrassent? De la tendresse? Du sexe? Du dialogue? Est-ce la somme de tout ça ou bien le produit? Mais ne peut-on trouver des cas où tous cela est réunit sans que l'amour soit? Définir l'amour par des choses concrètes c'est en faire une sorte de mille-feuille sans unité, c'est en donner une recette qui ne dit encore rien de ce qu'est l'amour. Peut-on percevoir l'amour? L'a-t-on jamais perçu? Et quel regard, quelle teinte, quel degré d'abstraction confère à l'amour son unité? Que dit-on en disant "l'amour c'est l'amour" si l'on n'a nul référent à quoi se raccrocher?

Le sexe, la violence, un nuage, sont des choses bien plus solides que l'amour, on peut toujours s'y raccrocher, en faire quelque chose, tandis que l'amour est un bien fragile filet. Qu'un seul n'y croit plus ou bien y croit différemment et voilà qu'il disparaît, se scinde en plusieurs branches, tel un signifiant à qui chacun confère un sens différent; et tous pensent en détenir le vrai, l'unique.

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J'ai une chanson dans la tête, une chanson que j'aurais très bien pu ne jamais connaître et alors cette expérience indicible que son écoute provoque aurait tout aussi bien pu ne jamais advenir, ne pas s'incorporer à mon être et débloquer cette part de moi qui s'y rattache.

Sugar man
Won't you hurry
Cause I'm tired of these scenes

For a blue coin
Won't you bring back
All those colors to my dreams

Sixto Rodriguez; c'est le nom du chanteur. Cela me fait penser qu'il y a parfois des noms de choses qui semblent prédestinés à prendre plus de place que les choses elles-mêmes. Il y a des noms qui ont bien plus de sens que n'en porte le référent lui-même. Quant à moi je garderai certainement un nom qui ne voudra rien dire, ou si peu. Je n'aurais été que cette goutte de sueur sur les lèvres de la vie et que le temps essuie d'un revers de la main. J'ai été.

20/07/2013

Ah les amis, les parents les frangins les souvenirs; puissiez-vous revenir et me tenir serré dans votre chaleur protectrice. Moi qui ne croit plus que les battements de mon cœur soient encore apparenté à un quelconque rythme de la vie. Comment a-t-il pu advenir de ce déséquilibre thermique que je suis la biologie de mon corps et celle de mon esprit? Il y a, je crois, bien des sortes de déséquilibres: certains plus violents, certains extravertis, d'autres introvertis. Le mien est si profondément tourné vers l'intérieur, vers ce point à l'origine de moi-même où je me perds dans le néant, que je le sens pulser dans les ruines de mon âme, telle une migraine jamais endormie. J'implose et ne peut plus sortir de moi, je reste prisonnier de cette vacuité gloutonne qui s'est installée dans mon cœur, dans mes cellules et leur noyau.

Peut-être veillez-vous quelque part, autour de moi? Mais je ne sais vous voir, nulle lumière, aucune perception ne peut s'arracher de mon chaos intime. Pourtant, parfois, j'aimerais vous voir. J'aimerais vous voir...

01/08/2013

Parfois je me promène dans une ville inconnue qui ignore qui je suis, ce que j'ai échoué, ce que j'ai accompli. Je m'y balade et tout le poids du passé, cette lourde charpente chargée de soutenir le présent, s'évapore: je suis de nouveau libre, point d'oubli évanescent. Je gonfle mes poumons et fait alors redescendre en une grande inspiration tout ce que je fus un temps, les scories de mon évolution. Et les gens qui me croisent ne voient rien en moi, je leur apparaît tel un spectre flottant, projet musical qui se joue sous leurs yeux mais dont la partition reste introuvable. Voilà qui résume ma vie: une phrase musicale écrite en un langage singulier et qui court sur le temps pour renaître autre à la mesure suivante.

Parfois je me promène dans une ville inconnue et savoir que je suis sans toutefois me connaître est mon petit plaisir volé sur le pli de l'instant.

02/08/2013

Il est d'autres jours où mes pieds foulent les trottoirs salis par les faits divers d'une ville trop connue et qui sait mes petites habitudes. J'y croise les mêmes vices, les mêmes visages arborant la même expression; j'y suis un homme figé, fini, bourgeon pétrifié sur une branche de la vie à la croissance suspendue. Même les murs des immeubles me renvoient une ombre ancienne qui glisse sur la grisaille avec le rythme régulier et trop prévisible des mélodies éculées. Chaque aurore est la même souffrance qu'il faut affronter malgré nos faiblesses, et la seule solution que l'on a est d'accélérer par nos propres moyens la lente érosion du temps sur notre vie. C'est toujours la même inspiration qui tend la main à la même expiration. Je ne crois plus en un avenir où les habitants de cette ville dévieraient de leur trajectoire cyclique pour m'emmener avec eux, je ne crois plus en cette existence sinueuse où chaque lacet cache un horizon inconnu. On dit bien pourtant que l'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.

Peut-être, alors, que l'homme est libre car il est à jamais sa propre sortie...

Peut-être que je perds mon temps à la chercher en vous...

03/08/2013

Je suis un bâtisseur d'immatériels mondes. Vous y entrez par une phrase qui prise en elle-même ne veut rien dire (et par là même peut tout dire) et c'est votre propre esprit que vous visitez malgré tout. Mes cryptes et mes cathédrales, mes plaines et mes montagnes sont contenues ailleurs; on ne visite jamais les pensées d'autrui. Lire n'est jamais que suivre le sillon d'un autre et s'imaginer par nos yeux ce que les siens ont pu mirer.

05/08/2013

Le fait que je ne sache écrire que mes pensées ne révèle-t-il pas un profond égocentrisme? Je ne parle jamais que de moi, de mes jugements, de mes sentiments, mais comment sortir de soi? Est-ce seulement possible? S'il me venait l'envie de raconter la douceur du vent qui caresse la nature, ne s'agirait-il pas encore de mon propre jugement sur ce phénomène, de ma propre perspective sur un en-soi auquel je semble irrémédiablement étranger? Tout ce qui n'est pas moi n'est-il pas par conséquent un univers forain dont la tonalité m'échappe bien que sa musique et sa pulsation s'accordent parfois avec la mienne? Je reste une singularité enclavée, repliée sur elle-même, une partition qui se joue mais qui n'entend qu'elle, jamais le reste de l'orchestre, ou seulement les effets de ce dernier sur elle. Nous n'accordons jamais, semble-t-il, notre cœur avec les autres, seulement cette périphérie de nous-même qui flirte suffisamment avec l'altérité pour que l'autre s'en saisisse et s'y mêle un peu, tel un reflet déclinant et flou de nous-même dans lequel l'autre peut se voir. Au fond de moi, je reste la totalité de l'univers que je perçois, ma subjectivité honnie.

Il n'y a probablement qu'en mourant que l'on devient réellement autre mais suis-je seulement prêt pour cela? Mon désir de connaître l'étranger n'est-il pas directement sous-tendu par le fait que pour connaître je dois rester moi, ce moi immense qui aime tant se réchauffer à la lueur des autres? En effet, si je devais devenir autre je n'aurais nul moyen de le savoir et tout l'intérêt de la chose serait perdu pour moi. Voilà pourquoi je respecte les autres comme le fabuleux mystère qu'ils demeurent. Mes phrases sont autant de cordes jetés à travers les espace-temps pour atteindre le vôtre, et à l'intérieur de son immensité l’îlot de la conscience. Le langage, sous toutes ses formes, semble bien avoir ce pouvoir si précieux de percer les univers clos sur eux-mêmes pour les faire enfin communiquer.

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J'ai vu un chat qu'on tenait en laisse dans la rue, il était rassuré, je crois qu'il était libre...

06/08/2013

Pourquoi faudrait-il matérialiser tous nos rêves? La satisfaction que procure l'imagination n'est-elle pas aussi une satisfaction réelle? Elle est en outre moins sujette à la déception qui accompagne les faits comme une gueule de bois désenchanteresse. J'ai toujours respecté les rêves, les aspirations qui le restent, car elles infusent petit à petit tout leur bien-être et jamais ne créent le manque et la crainte qui s'accrochent à celui qui s'acharne à faire courir la matière derrière l'esprit. Comme si ces des deux mondes étaient régis par les mêmes lois, comme si chacun n'incarnait pas une beauté singulière et irréductible.

Dans ma vie il y a mes rêves et mes actions qui se font face comme deux amoureux timides qui prennent leur temps mais qui avancent l'un vers l'autre, en douceur, sans jamais se toucher.

10/08/2013

Je voudrais m'exprimer dans toutes les situations tel que je suis, ne plus me sentir étouffé par l'environnement qui impose sa forme à mon âme et veut guider mes gestes. Il est trop d'environnements inappropriés à mes inclinations et qui musellent mon cœur musical. Certains lieux, certaines personnes, certaines heures étouffent la flamme de l'écriture qui brûle pourtant en moi, exhale ses odeurs chaudes dans chacune de mes pensées. Mais voilà ce que je retiens de cette leçon: nous ne somme jamais un cercle isolé, nous ne reposons jamais totalement dans le centre de notre être. Nous sommes une tension perpétuelle entre le milieu qui nous accueille et notre cœur incandescent, sans cesse extirpés du jaillissement de notre source intime pour s'équilibrer avec l'autre, cet ailleurs qui pèse de tout son poids sur notre existence.

11/08/2013

L'écriture est une sortie inespérée de cette cadence infernale sur laquelle veut nous faire danser la vie et qui pourrait nous amener au bout de la chanson sans même nous avoir laissé le temps d'y penser une seconde. J'emmène mes pensées avec moi, elles me suivent comme une traînée de poudre que je sème derrière mes pas, puis, tombant un jour sur un havre de paix, je prends la plume qui est comme l'étincelle mettant le feu aux poudres, et alors les mots que je déverse remontent le cours du temps retrouver le lieu de leur naissance. Certaines pensées ont une saveur si longue en bouche qu'elles offrent pendant longtemps à la main l'occasion de les ressaisir, bien après que leur existence ait consumé son cours. Les idées sont un scintillement dont la lueur traverse l'espace-temps et lorsqu'elles se prennent la main, ces galaxies diaprées sont mon seul enchantement.

12/08/2013

Les livres sont mes compagnons de route. Il y a un plaisir unique lorsqu'on achève une grande oeuvre littéraire ou philosophique, pareil à cette plénitude teintée de nostalgie qui nous étreint à la fin d'un grand voyage. L'oeuvre d'un autre nous a accompagnée un moment, nous lui avons permis de s'incarner dans la vitalité vibrante de notre existence, dans cette subtile singularité formée par la rencontre du courant pétrifié de pensées mortes et le dynamisme de notre mouvement intime. Quand tout s'achève, on a bien gagné un ami mais sa présence redevient l'apanage de cette froideur qu'ont les objets porteurs de souvenirs et de toutes ces choses qui ont quittées le ce-faisant pour rejoindre l'éternité. Malgré cela, c'est tout notre comportement qui veut porter en lui une part de cet ami devenu muet, notre style même semble comme trempé dans son esprit. Il faudrait que ces sentiments durent plus longtemps. Mais dès lors que le livre est refermé, quelque prosaïque nécessité nous importune et détache notre attention de ces cimes étoilées. L'autre est là qui vient détruire l'équilibre fragile que l'on s'acharne à trouver entre le monde et nous. Mais l'autre aussi est pourtant une partie du monde n'est-ce pas?

15/08/2013

Le destin des hommes est bien triste: une petite conscience irrémédiablement close sur elle-même telle un univers dans l'univers, vouée à entrer en collision avec d'autres mondes aux lois foraines dans un grand Tout encore plus impensable. Chaque être humain est un infini emboîté dans un autre: différents niveaux d'abstraction avec pour tous une vérité singulière: leur centre, la source d'où jaillit le temps, point de vue imposé sur le reste du monde. C'est un bien vaste monde dans lequel nous évoluons et chaque existence est une autre immensité sans fin où se perdre. De son point de gravité l'homme contemple tout ce qu'il peut du cosmos et prend conscience de la démesure de l'univers tout en ignorant combien lui-même est infini. Pour cela il est voué à rechercher l'unité qu'il pense avoir perdue, l'homme vit sur les bords de lui-même, là où l'autre le heurte, l'affecte, car il ne sait plonger au-dedans de soi.

L'autre existe bel et bien comme un opposé qui permet à la médiation que nous sommes d'être. D'un point à l'autre de ces opposés il ne s'agit probablement que de nous, l'autre n'étant que l'extrémité de nous-même que nous ne savons voir, notre horizon lointain. L'existence n'est peut-être qu'une déchirure, une distance, un point qui s'étire en droite et que nous nous acharnons à ramener à son point d'origine. Mais à travers ce processus ne cherchons-nous pas l'éternité muette et immobile qui prélude à la vie et la clôt, n'est-ce pas à travers notre propre mort que nous cherchons l'unité?

16/08/2013

Je suis un monstre et les plus grands philosophes sont mes amis. Je les ai probablement mieux compris que vous, vous et votre académisme universitaire, vous les exégètes corsetés dans un conformisme industrieux.

18/08/2013

Que deviendrais-je à cinquante ans, le nez couperosé par les soirées à boire seul, non comme un soûlard mais plus insidieusement, avec la régularité du métronome, en côtoyant l'ivresse sans jamais vraiment lui céder? Qu'est-ce que ces soirées à procrastiner ma vie et mon oeuvre finiront-elles par faire de moi? Un monceau de regret, l'incarnation pathétique d'un renoncement par la flemme? La vie dont je rêvais me passe à côté et celle que je vis réellement me semble plus onirique que mes rêves, éthérée comme un long purgatoire. Il ne sortira de moi, de l'homme qui avait des "facilités", qu'un consommateur de destins, plongé dans le mutisme perplexe que provoque la surabondance de choix. Je suis le consommateur de ma vie, me payant de velléités comme on irait au cinéma; je demeure assis dans le noir, face à l'écran de mes volontés qui ne dort jamais, et les séances s'enchaînent sans que le monde autour ne soit pour moi rien de plus qu'un vague souvenir qu'une obligation quelconque de vivre m'attend quelque part dehors. Jamais je ne décevrais quiconque autant que moi-même. Je rencontre des gens et ne fais que leur demander: "racontez-moi la vie", et ceux qui me touchent sont ceux là même qui ont cessé de regarder les autres vivre pour devenir eux-même une inspiration. Mais il semble que l'insatisfaction et la douleur de la puissance inactualisée soit une cellule dans laquelle je pénètre docilement pour n'en sortir que rarement et trop timidement, j'en fais le tour pour y revenir toujours: je me résigne à moi. Pourquoi donc la conscience me relie-t-elle au monde par cet unique sentiment d'impuissance? Je suis un combattant par intermittence, un pulsar qui brille moins qu'il ne demeure éteint.

22/08/2013

Le plan de ma vie se désagrège. J'ai rencontré des gens semblables à moi, ils étaient tels des trous noirs absorbant mon énergie, fascinants et terrifiants à la fois. Cette femme à l'éclat si intense en perpétuelle implosion car elle ne trouvait nul chemin vers autrui me fait penser au spectacle d'un monde qui se rongerait lui-même de l'intérieur. Nous ne savons pas trouver de chemin vers les autres et nous nous éclatons alors à l'intérieur de nous pour occuper l'espace vacant, toute cette immensité où l'absence de l'autre se fait sentir. Les solitaires le savent car ils sont capables d'incarner tour à tour toutes sortes d'altérités différentes, revêtent mille visages. Le solitaire se transmue d'une existence à l'autre pour combler les vides, le vide est toujours l'ennemi à combattre, il crée le déséquilibre propre à la vie, propre au désir, propre au mouvement. Le vide est définitivement quelque chose, quand bien même il ne serait qu'une illusion, la limite toujours temporaire à laquelle se heurte le regard de l'homme. Le vide est certainement un mot pour décrire le sentiment de l'homme fini qui se heurte à l'infini qu'il ne peut embrasser d'un coup. La pensée que d'autres que moi sont remplis d'un vide aussi profond me procure un soulagement dont l'envers est une sourde angoisse, l'un et l'autre se nourrissant, se disputant les limites de mon être qui vit quelque part entre ces deux sentiments, dans le fracas de leur lutte.

25/08/2013

Sans cesse tout s'agite, rien ne trouve le repos bien longtemps en l'homme. Et d'aucuns passent leur temps à se demander pourquoi, à tenter de comprendre ce qui se révèle être aujourd'hui une évidence pour moi: nous cherchons tous la mort. Nous, vivants à l'étant agité, cherchant le repos éternel de nos sentiments, nous cherchons la paix qui s'apparente au silence, à l'immobile portrait figé des choses éternelles. Certains parlent de Dieu, comme d'un être absolument parfait, d'une perfection pleine, en acte, à laquelle on ne peut rien ajouter, une totalité absolue; partout je n'entends que cette adoration des vivants pour la mort, elle est leur horizon qu'ils aspirent à toucher. Sortis d'une mort enfouie dans le passé et qu'on ne peut revivre, il nous faut aller vers la fin du voyage, vers ce naufrage dans lequel plus rien ne tangue, cette sérénité minérale, cet équilibre qui s'oppose tant à ce qu'est l'existence. Car enfin l'homme est un déséquilibre, ce déséquilibre est son essence même, la vie est une négation de l'entropie, de la paix, du repos, de l'homogénéité. La vie est chaos, chocs et luttes, elle est une tension perpétuelle, un déchirement qu'il nous faut traverser. Ô combien se trompent ceux qui croient aspirer à la vie éternelle car la vie n'a rien à voir avec l'éternité, et leur vœu n'est autre que d'apaiser les remous dans lesquels ils se noient, dans cette peur qui est déchirement, dans l'angoisse de l'anticipation, dans la hâte que l'on ressent face à toute vacuité, encore plus lorsqu'il s'agit de la nôtre. Les humains veulent se traverser eux-mêmes, franchir une bonne fois pour toute cet espace qui les disperse, qui les étire et les force à se mouvoir dans le temps, à toujours devoir se regrouper pour maintenir une unité si distendue. La vie est un plongeon dans l'espace-temps et le nageur n'a de cesse de rejoindre l'autre bord.

Une fois que l'on accepte cela, la simple conscience que le sens de nos vies est la mort n'est d'aucun réconfort, car alors comment expliquer ce manque d'engouement pour le suicide, ou bien ce goût pour les morts lentes, quasi imperceptibles que nos sociétés savent si bien prodiguer? Tout simplement car la vie est une tension vers la mort mais jamais elle ne s'y confond pleinement, la vie est ce déchirement, ce chemin reliant un seul et même point à l'autre bout de lui-même, elle est une boucle qui sort tout droit du néant pour y retourner. Toi vivant tu dois contempler chaque jour cette vérité, cheminer sur ta route, naviguer sur ton Styx tout en sachant que l'amour du déséquilibre, de l'existence, est aussi fort en toi que ce désir de mort qui t'attires vers le repos. Et tu connais dorénavant qu'il n'y a pas d'objet à tes désirs et que ce à quoi tu aspires n'est pas une chose mais une durée entre les choses éteintes, un espace à parcourir sans fin. La source de tes désirs est un déchirement perpétuel que tu entretiens car il en va de ton essence et de ta vie, bien que tes illusions et ta souffrance te poussent à te hâter vers une sortie qui n'est autre que ta négation propre. Tel est le destin de l'homme, contraint de se plier à la fatigue, de s'offrir à l'inassouvissement, à la soif inextinguible d'un breuvage qui n'est autre que la soif elle-même, cette même soif qui le ronge et appelle à être éteinte. La vie est le passage de la souffrance qui vient déchirer le néant, elle s'apparente à une force toujours en acte, à une interminable fatigue.

Rassurez-vous pourtant, on peut aimer la souffrance; on peut l'aimer bien plus que tout, et alors tout s'illumine pour un temps. La vie est cet espace et ce temps que nous remplissons de nos doutes, de nos sentiments, et finalement de notre volonté. Ce vide sera assurément ce que nous voulons qu'il soit. Apprendre à bien vouloir est la première leçon essentielle pour bien vivre. Bien souvent c'est à se regarder vouloir que la frustration s'adoucit, puis il ne reste alors qu'une curiosité bienveillante pour soi-même, l'homme et enfin le monde. Celui qui a connu cette curiosité sait alors, bien qu'il ne puisse s'en faire le maître, ô combien enfer et paradis ne sont jamais que deux perspectives d'une seule et même chose, et que cette chose est l'existence même.

26/08/2013

Et il me faudrait aimer cet homme qui se noie dans sa propre existence, il me faudrait accepter d'être lui que je vois sans cesse prendre les mauvais embranchements du destin, persister à être uni avec un passé détestable, lié à un avenir de misère? Mais qui est ce pantin que j'observe à chaque vibration de cette existence hurlante? Lui qui m'attire à lui, s'empare de mes yeux, muselle ma bouche et me plonge dans l'action, celle-là même qu'il me faudra contempler plus tard, perdue dans le passé comme une marque honteuse que l'on ne peut effacer. Je hais ce double qui est moi, je me hais moi-même, moi transcendantal que je subis, moi qui n'ait pas d'autre moi pour me surveiller, moi source inconnue. Celui que je vois n'est rien, il n'est qu'une image que j'observe à retardement, il n'est qu'un être reconstitué avec un bref délai et qui donne l'illusion d'exister au présent, ce moi qui m'exaspère n'existe pas en fait. Et pourtant sans cesse j'ai besoin de le vivre, de me vivre comme un autre que je subirais, qui serait fait par l'existence tandis que je rive mon attention sur lui alors même que je suis fait aussi. C'est ainsi, l'homme est double, il est ce regard de deux horizons qui se toisent, cette durée qui se joue et se rejoue, ce chemin cent fois parcouru en tous sens. Je est le maître de mes illusions, Je incarne le pantin, Je projette le passé sans cesse devant mes yeux. Mais si Je connais cette illusion parce que Je y assiste sans cesse aux premières loges, Je n'a nul idée de qui est Je, ni même de ce qu'il est... Dès lors que Je cherche à le figer, il est déjà ailleurs, dans un présent qui s'enfuit et me porte sur ses ailes. Je...

27/08/2013

J'ai beau penser que je me connais ou que Je connais Moi, que la conscience de mes pensées et que l'édifice monstrueux qu'elles forment ensemble m'offrent une vision de ce que je suis - du moins de ce moi social - rien n'est moins sûr. Je suis un monstre et je dois vivre avec la surprise que ce constat provoque. Je ne me sens pas un monstre à l'intérieur. Quelque chose me laisse penser que je suis seulement trop humain, tellement humain que je contiens en moi ce que tous les humains contiennent aussi en germe. Je suis une bouillie d'humanité, des centaines de pousses avortées, des branches partant dans tous les sens et nul tronc pour soutenir le tout. Je suis une erreur de la nature et c'est ce que les yeux et les mots des gens autour de moi me hurlent quotidiennement. Je parle de ceux qui me connaissent un tant soit peu, ceux qui plongent leur cœur dans la saleté de ma conscience, ceux qui se sont salis en moi et qui ressortent blessés de n'avoir jamais rencontré quelque chose d'aussi froid et informe que mon âme. Je ne m'adapte à rien ni personne. Je suis une gêne, un regret éternel. J'ai perdu tout le monde à cause de ma propension à vouloir tout développer, j'aspire la lumière des autres, je ne leur laisse aucun chemin pour sillonner libre à mes côtés. Je ne pensais pas être comme ça, j'ai toujours cru connaître l'ensemble du tableau que je forme, j'ai toujours pensé que s'y trouvait une certaine harmonie, quelque chose qui pourrait plaire à l'autre. Mais c'est un a priori imputable à la distance, dès qu'il se rapproche de moi, dès qu'il s'enfonce dans ce fouillis inextricable, il ne demeure plus rien de cette apparente harmonie, l'autre se perd dans mon chaos et n'y trouve nul place pour exister. En moi les regards, les paroles et les sentiments se perdent, ils subissent mille mauvais traitements, sont digérés, transformés, remodelés, éclairés sous divers angles qui tous révèlent la matière indéterminée de nos pensées brutes, vierges de toute interprétation qui voudrait constituer un éclairage fixe. Je n'ai pas de sens voilà tout. Votre incompréhension est la conclusion naturelle de ce que je suis. C'est un peu grâce à vous que je comprends cela.

28/08/2013

Il m'arrive d'avoir peur au point d'avoir la sensation de plonger si profondément en moi qu'il me sera impossible de regagner la surface. Je vois la mort et ma propre finitude partout. Nulle part une issue. Je pense alors à mes proches comme à des bouées de sauvetage mais je sais qu'au fond je suis seul face au monde, dans un duel que je suis incapable de gagner. Il y a tant de raisons de mourir, chaque lieu, chaque espace est une promesse de mort. Noyade, étranglement, fusillade, électrocution, écrasement... Tout est là dehors qui m'attend, je ne peux plus sortir. Mais même à l'intérieur, c'est toujours la mort qui est peinte sur les murs de ma maison, qui se tapie derrière chaque porte. Dehors, dedans, aucune différence, la mort est là qui fait son oeuvre, à chaque seconde elle prend un peu de nous-même, nous déguste lentement quand elle pourrait tout avaler d'un coup. J'étouffe. Ma misérable vie peut s'envoler à tout moment, doit s'envoler d'une minute à l'autre. La moindre action est dangereuse, je pourrais me couper, ou bien mon cœur s'arrêter.... Mais ne rien faire est déjà mourir un peu, c'est se mettre en danger car il faut survivre. Je ne sais ce qu'est vivre, je ne sais que mourir mais j'ignore tout de la mort. J'ai peur que tout s'arrête, je refuse d'être dépossédé de moi-même, d'être privé de ma conscience, de cette voix intérieur et de cet œil qui me rassurent tant. J'ai la désagréable impression que l'univers exerce une pression si forte sur moi que je me ratatine, me rétracte sur moi-même, devient aussi fin qu'une feuille, bientôt vapeur en dispersion dans l'air. Mais qui va me rattraper, qui va me sauver? Il faut que l'on s'occupe de moi, qu'on ne me laisse pas mourir, qu'on m'apporte la vie, qu'on me fasse manger, qu'on me rassure, qu'on me sourie. Je ne peux tolérer l'omniprésence de la mort, la lutte est trop déloyale, je ne suis rien, je n'ai nulle puissance, et la mort a déjà pris mon âme, c'est écrit quelque part, dans les tables de loi de cet univers impitoyable. Ah l'univers n'aime pas la vie, voilà tout, toute cette agitation doit cesser un jour ou l'autre, tel déséquilibre laisser la place à un autre, il y en a tant qui continuent d'arriver. Assis au centre de ma maison, je suis plongé au cœur de ma conscience, avec ses murs organiques, épais et sombres qui semblent respirer monstrueusement et s'avancer vers moi. Je me noie dans la mollesse de ma conscience comme si je tentais de fuir le monde par moi-même, mais l'univers est partout, il vient me traquer jusque là. Je suis traversé par la peur, je ne suis qu'elle, il n'y a nul lieu où lui échapper. Je ne suis rien, je suis ce que je pense, ce que je ressens, je suis un vide que les choses traversent et comblent de toute leur réalité. Aujourd'hui je suis la peur.

30/08/2013

Il m'est insoutenable d'entendre les conseils que les gens se prodiguent entre eux. Tant de certitudes cristallisés, d'opinions, de convictions fondées sur du vide, sur de simples impressions que l'on consolide avec l'aveuglement des autres, tant de fictions que l'humanité bâtie. "Il faut rester soi-même, ne pas se nier, etc." mais qu'est-ce que tout cela veut dire? Comment peut-on ne pas être soi-même? En écoutant cette même conscience qui nous ordonne de coïncider à une image figée de nous-même? En obéissant à ces modèles que l'on se créée de toute pièce et qui se nourrissent des illusions communes, du règne de la médiocrité? Mais qu'on obéisse à ses sentiments, à sa raison ou à ses opinions, il s'agit toujours d'une expression de notre être, tantôt porté par l'opinion, tantôt par la raison, tantôt par autre chose. Nous restons nous-mêmes que nous le voulions ou non, que nous changions ou pas. La vie, et de surcroît l'homme, est une dynamique, et le changement n'est pas une trahison, il est évolution. Notre identité est une métamorphose et sa tectonique intime est précisément notre définition en acte. Quels que soient vos choix, vous resterez toujours vous-même, que vous souhaitiez ressembler à une idole ou que vous restiez fidèles à votre sentiment intime, chaque acte et chaque pensée dit quelque chose de vous. Mais ce quelque chose n'est pas éternel, il n'est pas pétrifié dans l'atemporel, au contraire il s'inscrit dans une histoire et un contexte toujours différent qui vient donner un sens à ce que vous êtes. La vie est là pour détruire les illusions, le temps est un deuil perpétuel qui nous permet de toujours accepter de danser sur la vie, en accueillant les différents rythmes qu'elle nous propose, en se dépassant toujours afin d'être plus vaste, afin que, réellement, rien de ce qui est humain ne nous soit étranger. La vie est ce chemin tronqué d'un être fini à la recherche de la totalité. Peut-être nous faudrait-il revoir ces idées préconçues qui nous font croire qu'être fidèle à une image de soi et s'y tenir est une bonne chose, peut-être nous faut-il apprendre un peu plus à sortir de nous-même afin de mieux y retourner plus grand? Nous sommes un voyage, n'écoutez plus ceux qui voudrait vous fixer à un point donné, ceux-là ne cherchent qu'à se rassurer eux-mêmes, à dresser une carte immuable d'un univers qui les effraie, ceux-là ont peur de la vacuité créatrice. Ne soyez pas un point ou une frontière sur la carte de leur territoire imaginaire, continuez d'être un mouvement et soyez comme la vie qui caracole sur les ailes du temps. Devenez!

05/09/2013

Je m'enveloppe dans la nuit, elle est mon manteau. Le doute me ronge tellement que je ne sais plus être. Je n'ai plus d'assurance, plus de sol sous les pieds et les autres me font danser sur le rythme qu'ils décident. Je ne crois plus en moi, moi est un mot vide, il ne recouvre aucune réalité définie, tout juste cette indétermination qui caractérise tout ce qui change sans cesse, offre à la face des observateurs un reflet fugace et tronqué d'une unité perdue, ou peut-être inexistante. Pourtant quelque chose se tend entre ce moi et l'autre, quelque chose qui nous lie dans la discussion, une distance que j'arpente et qui me permet d'exister heureux; quelque chose écoute au bout du fil l'appel qui sourde de ma source. Mais l'autre ne me dit jamais ce qu'est cette source, il n'offre jamais qu'un jugement qui est l'ombre de ce qui filtre de notre personne à travers une identité fantasmée. Il ne voit de nous-même que ce qui déborde de l'idée qu'il s'en était constitué et qui vient raturer la belle forme harmonieuse à laquelle sa croyance l'attache. Je ne vois que ça partout: je suis une rature, une tache immonde que l'autre constate puis rejette, comme on se débarrasserait d'un déchet encombrant et poisseux. Suis-je à ce point écœurant? Ma source m'échappe, je la recherche dans les ombres qu'elle projette sur autrui mais ces ombres sont à jamais, semble-t-il,  ce rictus de dégoût qui se peint sur le visage et dans les phrases de l'autre. L'autre n'est plus que cet alter ego qui me déteste. Peut-être qu'ils saisissent en moi une part d'eux-même qui leur fait peur et à laquelle ils ne consentiront jamais. Je suis désespérément l'impasse dans laquelle les autres ont refusé de s'engager...

J'entends parfois quelques uns murmurer: "tu es la maladie de ton temps"... Et ce texte même est le témoin de ma schizophrénie qui m'oppose sans cesse à moi-même, à un moi étranger.

08/09/2013

J'ai englouti bien des néants en moi qui auraient donné, en d'autres mains, des fleurs plus éclatantes que mes bourgeons fanés. Combien de moi est resté enfoui dans ces potentialités jamais actualisées? Combien de ma personne n'est jamais vraiment advenue que dans cette illusion qu'est ma conscience? Et je m'en vais dans la rue, marchant le pas léger, croyant que je suis immense et si vaste que nul ne peut me prendre par l'esprit. Pourtant mon royaume, ce territoire que je possède et que je suis, n'est qu'un tissu de rêve, de songes que nul n'a entendu. Le monde ne me connaîtra pas et je n'aurais jamais vécu. La citadelle intérieure est imprenable, je peine à en sortir, son rythme est trop rapide pour s'écouler dans la réalité. Je chevauche la crête émoussée du temps, seul, à jamais inconnu, imprimé en moi-même, intime le plus intime et par là inconnaissable pour quiconque. Je chevauche toujours seul, accompagné seulement de cette ribambelle d'enfants morts-nés que sont mes tentatives d'expression, et que je traîne derrière moi comme un sillon sanieux. Je n'aurais été tout au plus qu'une possibilité.

01/10/2013

Que dire dès lors que plus rien ne parle en soi? À quoi bon informer la matière de notre toute puissance? Jamais aussi énorme et incommensurable que lorsqu'elle sommeille en l'âme, à l'état d'informe énergie prête à exploser. Ma vie est une implosion quotidienne; tout ce qui est retenu forme des possibles jamais actualisés. À quoi bon l'acte: choisir, se déterminer, ce n'est jamais qu'éliminer, se priver de tout ce qui pourrait advenir. Et pourquoi diable faudrait-il faire advenir de soi quelque chose? Ne sommes-nous pas l'évènement? Ne sommes-nous pas effectifs en nous même? Sans expression, imprimés en dedans, introvertis, se creusant de l'intérieur, devenant toujours plus forts et intenses mais aussi toujours plus enfoncés et enclavés. Je suis tellement loin en moi que je ne sais comment m'atteindre. Je n'éprouve rien de moi, rien que la simple vibration du sommeil de l'énergie, son frémissement à l'appel de l'acte, l'excitation des cellules qui sont prêtes à servir. Mais toute expression, toute image, m'apparaît comme une trahison, alors je reste moi, je reste tout, je reste à jamais rien pour tout le monde. Et si je ne sais comment rendre mon immensité, si cela m'est impossible, est-ce le signe que tout cela n'est qu'illusion, que l'imagination me trahit, qu'elle me trompe sur moi-même ou pire qu'elle n'est pas moi? À qui appartient donc cette omnipotence qui demeure au fondement de mon être comme la source de son jaillissement? Et pourquoi suis-je aussi calme et tranquille qu'une mer étale quand je sens pourtant à ma base, une puissance infinie sourdre et tenter de se frayer à travers moi un chemin? Serait-ce que toute cette énergie ne m'appartient pas, qu'elle ne vient pas de moi? Suis-je le pilleur du monde, faux propriétaire d'un trésor immobile et qui demeure partout? Est-ce la musique des étoiles et le chant céleste que je m'acharne à écouter, que je tente en vain de ramasser dans mon escarcelle percée? Peut-être que tout ce que j'ai cru être moi, tout ce merveilleux fond que j'ai pris pour ma propre terre n'est autre que le monde qui me traverse, qui est peut-être moi mais me transcende et m'excède. Je ne suis donc rien par moi, rien d'autre que mes propres actes minables, mon curriculum vitae absurde et sans éclat, rien d'autre qu'un soleil noir qui se croyait lumineux tant il volait la lumière d'autres cieux.

Il restera ces textes... J'écris mon histoire pathétique. Ce moi qui n'est rien d'autre que ma création. Il n'y a pas de moi transcendantal, si ce n'est le monde. Je n'est pas un autre, il est impersonnel, il est l'univers illimité. Et celui que j'observe et que j'attends n'est autre que cette figure abjecte qui se peint dans ces lignes et que vous détestez déjà. Me voilà monde! voyez semblables, ma risible bassesse.

03/10/2013

On dit que la vieillesse est un écho à l'enfance, que les vieillards sont comme des jeunes enfants puis qu'au crépuscule de leur vie, ils redeviennent nouveau-né. Mais n'est-ce pas là ce que nous cherchons tous d'une manière ou d'une autre? À retrouver ce droit à l'infini qu'est l'enfance, ce droit à l'avenir incertain qu'est cette modalité de l'existence de ceux dont on ne peut pas dire qu'ils sont ceci ou cela, de ceux à qui tous les prédicats s'appliquent puisque aucun ne les enferme. Peut-être que c'est ce droit à tout recommencer que nous cherchons dans l'irresponsabilité, dans la fuite de nous-même, dans tous nos échecs programmés, nos abandons, nos coups de gueule, nos révoltes. Nous réclamons le droit de tout recommencer, d'essayer autre chose, de devenir non avenu, encore à venir. Par pitié temps, ne laisse pas l'espace m'accrocher à son éternité minérale où le devenir est empêché. Laisse moi être tout ce que je veux, mais surtout laisse-moi être moi-même, laisse-moi ma mémoire et ma conscience, laisse-moi grandir encore et toujours, laisse-moi rester dans la croissance. Je veux ma vie comme un apprentissage infini, comme la découverte de nouveaux territoires que je peux arpenter seul, neuf, pour me laisser former par eux. Je veux la vie nomade, la seule que j'ai connu. Je ne suis pas d'une terre, je n'ai pas d'autre origine que le mouvement. Je désire m'ouvrir tous les chemins, les contempler tous praticables, là, devant moi, avec ma conscience d'aujourd'hui. Je veux vivre un choix, puis gros de mon expérience, retourner à l'instant fatidique et prendre l'autre embranchement possible tout en sachant à quoi ressemble l'autre route. Je veux absolument tout, ce tout qui est mon horizon. Laisse-moi, temps, vivre encore les autres, laisse-moi être tous les hommes, toutes les pensées et tous les sentiments. Laisse-moi être celui qui pouvait être tout.

23/10/2013

J'ai beau essayer, je n'y arrive pas. Comment continuer? Comment ne pas tourner en rond lorsque à chaque pas se fait entendre l'écho d'un passé inaccompli, d'un choix abandonné? Comment ne pas haïr les autres qui continuent, empruntent des routes que nous avons déjà foulé, des routes sur lesquelles ils nous regardaient auparavant de loin, avec envie. Et maintenant? Je les vois marcher vers ce rêve qu'ils poursuivent, et moi je suis ailleurs, sur une autre route, à l'assaut d'une autre existence pour me grandir, pour nourrir le vide que je sens poindre en moi et qui m'effraie. L'infini est vide, creux, il s'annule de lui-même. Alors je commence et recommence sans fin d'autres vies pour ne pas avoir à affronter la finitude d'un choix, la monotonie de cette voie qui nous entraîne vers la perfection, qui veut nous fondre dans une activité et un mouvement particulier. Je me libère dans les possibles, dans l'acquisition d'une base tellement grande... Qu'elle en devient infinie, absurde elle aussi. Je deviens un néant, d'une manière ou d'un autre. Les autres qui avancent sans se poser la question, qui éprouvent leur plénitude jusqu'au bout de leurs choix me sont insupportables. Je suis passé par là, j'ai été plus loin qu'eux, mais eux marchent encore, sont encore dans la course, quand je demeure à jamais apostat. Et que serais-je aujourd'hui si j'étais resté dans cette trajectoire particulière que l'autre adopte, dans laquelle je le vois filer comme une étoile? Que doit-il penser de moi? Que j'ai abandonné? Que je suis un gâchis? Que pense-t-il de moi, l'autre qui est à ma place? Y a-t-il une reconnaissance possible aujourd'hui pour les gens comme moi, pour ceux qui apprennent à tout faire jusqu'à un certain niveau de compétence, puis s'en vont vers d'autres formes de l'existence, se rendent malléable plutôt que de s’incruster dans une forme? Je suis une matière qui se déforme, se chauffe, s'étire et se contracte, pousse dans un sens et dans l'autre, je me pétris afin d'être tolérable à toutes les formes quand les autres se figent peu à peu, décident et affirment leur être dans une posture donnée, limitent leur capacité d'adaptation mais gagnent par là une certaine assise, une certaine reconnaissance: ils occupent une place déterminée dans le monde, on ne peut passer à travers eux sans les casser, d'ailleurs ils sont devenus si solides qu'il est bien dur de les briser. Ils sont comme des objets dans le monde, on ne peut pas les nier; ils sont des noms bien définis.

Mais moi que suis-je? Moi qui apprend sans cesse à prendre une forme puis à la briser, moi qui apprend à devenir le changement même, l'absence de forme et la présence de tous les possibles. Le monde a t-il besoin de moi? Peut-on vouloir d'un homme sans qualités? D'une part j'ai ce furieux sentiment que se rendre potentiellement divers et multiple est une manière d'exister intensément, du moins si je n'en sais rien, je sens que mon bonheur est directement lié à cette puissance de devenir. D'autre part, je reste admiratif et tellement envieux face à ces gens qui font le pari inverse et s'incrustent dans l'existence avec toute l'épaisseur et le poids de leur inertie, de leur volonté bien définie. Tant pis, je ne dois pas être fait de cette étoffe, je passerai à côté du monde comme un phénomène un peu étrange, comme une incongruité dont on ne sait pas trop dans quelle catégorie la classer si ce n'est dans celle des anomalies, des faiblesses. Je suis un faible qui se sent à la fois ainsi et en même temps absolument fort. J'ai la sensation intense, dans chacune de mes cellules réfléchies, d'être une puissance sans bornes, d'être aussi créateur que le temps. Je suis le héraut de la fin de l'homme spécialisé. Un jour, mon mode d'existence sera recherché, prisé même parce qu'on y verra une certaine dignité, on y verra l'actualité respectable et le dessein sublime d'un homme qui prend conscience de sa liberté en cessant de faire passer les cadres pour autre choses que ce qu'ils sont, en voulant se faire lui-même le moule de tous les moules. Quand les autres cherchent le sens de leur vie et souhaitent l'incarner, se donner une signification, je suis celui qui veut devenir la signification même, ce mystérieux phénomène par lequel on fait d'une chose un signe qui vaut pour autre chose. Je ne suis pas un signe qui vaut pour autre chose. Je suis un processus, je suis une interprétation possible, je suis une méta-signification, sans cesse une abstraction au-dessus de ce qui pourrait me déterminer. Je suis la détermination même, voyez je suis l'humain; c'est à dire ce qui précisément ne coïncide avec rien car il est lui-même puissance de faire coïncider. Je suis une force de liaison des éléments de ce monde, mais on recherche encore quelle est ma matière, comme ce mystérieux boson de Higgs que l'on suppose partout mais qu'on ne saisit jamais. Personne ne veux me ressembler car il n'y a pas de repos dans la vie d'une force. Tant qu'il existe autre chose que moi-même, j'en opérerai la liaison et la synthèse systématique.

Un jour, vous y viendrez aussi; viendra un jour, croyez-moi, où je ne serai plus seul et détesté...

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