samedi 7 septembre 2019

Rien, du tout

Toutes mes tentatives d'écrire un roman n'ont été que des soumission à une forme prédéfinie à laquelle n'adhère pas mon écriture. J'ai haï l'acte de les écrire, j'ai souffert de l'interminable processus d'artisanat, d'industrie, qui préside à leur achèvement. J'ai enduré les goûts de mes semblables. Le seul roman qui me ressemble un tant soit peu c'est l'ombre des pensées. Celui-là a été écrit sans souffrance, naturellement, il était en cela inévitable, comme l'est le fruit qui succède à la fleur.

Je pourrais tirer plusieurs leçons de ces expériences. D'abord je pourrais me convaincre qu'il existe, et qu'il me faut trouver, une manière d'écrire des sortes de roman qui me soit propre. Ou bien je pourrais renoncer à l'idée d'être lu et potentiellement apprécié en abandonnant la voie du roman et en poursuivant mon oeuvre sous sa forme originale, jugeant que là est la véritable expression de mon style. Dans les deux cas le choix s'apparente à celui d'abandonner ou non l'espoir d'être aimé, d'être reconnu et diffusé. Autrement dit à voir le monde conférer une quelconque valeur à toute cette production.

Mon problème avec l'époque qui me contient, c'est que je n'ai jamais cru à l'achèvement de quoi que ce soit. Je n'ai toujours vu que continuité indéfinie en toutes choses, et les jalons que posent mes semblables sur l'indéfinité du temps ne m'apparaissent que des marques factices, les coups de crayon d'une carte censée valoir pour un réel indéterminé. En cela, l'ombre des pensées est peut-être encore une manière de vouloir me plier au jeu de mes contemporains. C'est peut-être un livre qui est une partie de mon propre journal, lui-même étant peut-être une partie de mes poèmes. Je suis incapable de constituer un recueil qui forme une unité dans la continuité de ma production. Ce serait comme prélever un fragment de la queue d'un chat et l'offrir à autrui en lui intimant l'ordre d'y voir là un chat...

Peut-être que le seul livre achevé que j'aurais à offrir un jour sera la somme de tous les textes, tous genres confondus, qui constitueront l'oeuvre d'une vie. D'ici là je n'ai rien à offrir de défini. Pas d'objet à saisir, pas de début ni de fin.

Si je regarde quelqu'un, il me faut croire pour cela à la définition d'une personne, il me faut un concept qui permettrait à ma vision de circonscrire l'objet dans le fond diffus des choses qui apparaissent. Je dois pour cela définir le corps, ses contours, l'individualité, etc. Il me faut donc accepter la cohérence d'un certain nombre de concepts et de valeurs qui sont admises par le collectif à une époque donnée. Si je ne le fais pas, il me sera impossible, par exemple, de produire un portrait, ne sachant pas ce qu'un tel concept cherche à définir, ou ne voulant pas admettre qu'il corresponde à une réalité pouvant faire l'objet d'un découpage déterminé.

Voilà bien ce qui termine de m'isoler en matière littéraire. Je n'accorde aucun crédit à ces découpages usuels. Ils ne représentent à mes yeux rien du tout.

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