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mercredi 8 mai 2024

Fact-checking

C'est toujours avec la fascination un peu morbide du pré-suicidé que j'observe la totale dépendance de mes semblables. Troupeau servile et grégaire inapte à vivre par soi-même dans la grande Nature. La fille des paysans me racontait comme il arrive parfois, qu'en un troupeau de moutons bien dociles, surgisse l'idiosyncrasie rebelle d'un ovin atypique. Celui-là n'a de cesse de taquiner les autres, de faire le tour de son enclos et de trouver partout des failles qu'il s'empresse de franchir, exposant à ses congénères le triste spectacle de ce qu'on pourrait nommer liberté. Alors, me dit-elle, il n'y a pas le choix, il faut abattre cette bête afin qu'elle ne contamine pas le reste du troupeau de son mauvais genre, ce reste qui aurait tôt fait de reproduire l'odieux péché. Et vous: ce troupeau ne vous rappelle-t-il rien? Engeance issue d'une longue domestication, bouquet de gènes par l'homme agencé -- dans le but de servir? Incapables de survivre en la grande Nature... moutons et hommes: morne pâture.

Au lieu d'entretisser nos frêles tiges en de solides lianes d'entraide, nous dérivons atomiques et résignés, transis de peur face aux aboiements des bergers et de leurs chiens. Nous habitons des boxs et pâturons dans des enclos, tous réglés sur la même horloge, tous synergiquement dressés pour perfuser nos maîtres de nos sangs giratoires, leur insuffler ce concentré de temps qui rend l'illusion plus tenace d'être libre à jamais.

La grande ferme des animaux a dissous les liens sociaux de jadis -- de cet archaïsme d'homme -- dans le diffus de flux institutionnels. La confiance est accordé à des choses et à des principes et non plus aux gens. Et nous nous côtoyons tous dans le grand troupeau sans jamais nous connaître, défiants a priori de l'autre, jaloux de ce qu'obtient la plus faible brebis, incapables d'imaginer même que la complexion de nos vies n'a pas toujours été ainsi, révoltés, même, lorsqu'un importun croit bon de nous le faire remarquer, indignés qu'on puisse avoir encore l'impardonnable courage de rêver autre chose... Et tout cela est si pronfondément ancré en nous que rien ne peut sembler plus naturel. Alors, l'outrecuidant qui voudrait bouleverser l'ordre des choses, le grand Cosmos éternel, doit être rappelé à l'ordre; et le mouton -- qui, peut-être, n'en a jamais été un -- sait sortir les crocs du loup pour son semblable égaré. La servitude est désormais un organisme autonome, homéostatique, et toute velléité de liberté se voit dévorée par de zélés anticorps.

Tiens, j'ai lu ce matin, sur un panneau publicitaire, ou était-ce un fil de clôture... que la devise de mon pays vient d'être fact-checkée par les "zététiciens"... il ne s'agissait, en fait, que d'une vulgaire fake news. C'est vrai qu'en y repensant d'un peu plus près, ces trois petits mots sont vulgaires... Ont-ils jamais parlé de quelque chose de réel? Et celui-là alors! Mais qu'est-ce qu'il vient s'approcher de moi avec sa laine d'obscurité? Le suint n'y luit même pas! Et regardez-le baffrer comme pas deux, ça engloutit la part d'une famille entière et en plus ça vous coupe l'herbe sous le pied! Crois-moi bien p'tit gars que tu n'auras pas une miette de ma ration.

C'était quoi déjà cette devise au fait? Oh puis quelle importance après tout...

dimanche 9 septembre 2018

Bientôt...

Il n'y a plus rien pour me guérir de ce destin manufacturé, ni les poèmes, ni la musique, ni quelque drogue inconnue ne suffiront à me guérir de mes semblables. Telle une terre souillée par les engrais chimiques, une terre qui s'éteint, j'exhale un désespoir nocif dans ma cellule à crédit. Du moins ne fais-je de mal à personne d'autre qu'à moi-même...

Les jours s'enchaînent telle une suite infinie d'humiliations quotidiennes, la vie de l'employé s'étale monochrome et bien rangée, comme des rails se perdant au loin d'un futur indifférencié. Il faut partir me dis-je, partir et ne jamais revenir au pays où les humains ont naturalisé la servitude, et se réjouissent même qu'on leur dise où aller et que faire du lever au coucher d'un soleil bénévole. Qu'est-ce que je partage encore avec ces gens? Avec leurs pensées? Leurs convictions, leurs croyances qui se sont phénoménalisées sous la forme d'un monde injuste où chaque vie n'a de valeur que par l'énergie qu'elle applique à se vendre au projet toxique de la civilisation.

Que me retient donc de prendre ma guitare et d'aller par les rues en jouant, espérant récolter quelques pièces, afin d'acheter à des chaînes de grande distribution une nourriture délétère et quelques litres de Styx vendus en canettes... Je pourrais déclamer mes poèmes et peut-être quelqu'un entendra, peut-être que se phénoménalisera aussi cette intériorité que je traîne comme une planète extravagante et exotique au sein du territoire où je suis détenu...

Peut-être me faut-il descendre encore plus bas dans les sous-sols du désespoir pour renoncer véritablement à faire miens ces dogmes qui me font souffrir et dont la logique si vulgaire me retourne de l'intérieur dans une sourde révolte qui s’émiette en quelques mélodies et songes musicaux. Descendre encore plus bas, à la limite extrême, où se développent les maladies modernes, les cancers et autres dégénérescences. Le monde s'est immunisé contre l'injustice, les gens ne la ressentent plus. Je pourrais avaler des pilules et vire heureux parmi eux, probablement, mais je préfère sentir la douleur qui se fait jour après jour de plus en plus vive, je préfère entendre et sentir me faire vibrer les entrailles le hurlement de mes cellules, la complainte en mineur de mon âme assaillie.

Bientôt je partirai d'ici, et je n'aurai pas honte! Je vivrai bohémien, me priverai de tout, comment cela pourrait-il être pire que de se voir ôter toute dignité, comme un chien en cage à qui on apporte tout de même de quoi manger; parfois un vieil os à ronger, afin qu'il supporte d'endurer ce destin, avec suffisamment d'espoir en poche pour garder la curiosité de prolonger son souffle jusqu'à l'aube prochaine.