mercredi 8 mai 2024

Le Trou

Est-il vraiment nécessaire de se faire comprendre d'autrui? Comme s'il fallait sans cesse justifier son existence et tout ce petit mobilier insipide qui -- le croit-on -- constitue ce qu'on est? Est-il si intolérable de laisser le monde -- une partie du moins -- vous vomir et mépriser? Le Surhomme n'est pas de ceux qui réclament l'amour d'autrui: je suis tout sauf un Surhomme.

Alors, cahin-cahan, je tente d'expliquer à l'autre qui fait face ce qu'il en coûte d'être moi. Mais les mots vous font tantôt paraître hyperbolique, tantôt euphémique. Que d'emphase et de broderies ne faut-il pas déployer pour rendre un tant soit peu palpable à autrui ce grand trou noir qui vous habite; dévore votre présent d'énergie, absorbe la vitalité en cathéter invisible jusqu'à laisser ce petit tas d'ombre salie qui coule entre les murs de son destin ce bien triste sillage.

Rien ne saura donner la mesure de la souffrance qui est mienne -- aussi risible soit-elle... De quoi me plains-je enfin..! À celui qui sent, de toutes les manières, le nuancier du vide par tous les pores de son âme, celui-là sait la profondeur du tourment qui charrie les fragments perdus de soi au travers des jours. Et je l'aime comme un frère algique écartelé par les étoiles -- lui aussi. En ce qui me concerne, je ne les regarde même plus, clos sur le centre actif de ma déréliction je me fige en posture de garde, protégeant de mes membres frêles et improductifs les organes vitaux qui me maintiennent, végétativement, en survie. Je peux me prévaloir de la santé de mes intestins qui déversent leur torrent quotidien d'excréments qui n'ont pas même pour eux d'être le souvenir de plaisirs réels, mais plutôt le fantôme affairé de mes angoisses à reboucher le trou.

Le trou: tout est affaire de trou. De l'enceinte jusqu'à la tombe: un trou pour se chuter.

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