samedi 27 août 2016

Regarder les funambules

Aujourd'hui j'ai beaucoup dormi. Le poète en moi avait longtemps gardé sa bouche close, il n'avait fait parler que ses regards et ses gestes, alors les mots, je crois, devaient un peu lui manquer. C'est pourquoi, je pense, il est venu me visiter, d'une visite onirique dans laquelle il s'est revêtu de la peau de Pessoa. J'ai ainsi pu me balader avec le poète portugais, observer son étrange comportement, pareil à la fuite d'un stylo tenu par un dessinateur amoureux qui jamais ne décolle la mine du papier. Je lui ai posé les questions que je me pose à moi-même; et c'est moi-même qui répondait; parce que Pessoa était le masque que je portais. On a toujours besoin d'être un autre pour exister, je crois.

Je lui posais des questions, j'en avais mille en tête, que dis-je j'en avais des pelletés de cieux étoilés, et souvent il m'invitait à réfléchir et à trouver les réponses pour moi, les réponses déjà données par le présent et par l'état du monde tel qu'il est, celui qu'on ne prend pas assez la peine de lire parfois. Puis à la fin, il s'est enfui en courant, je n'ai pas trop compris pourquoi, il a couru rejoindre ses gestes silencieux et la musique inentendue de son existence. Il n'y avait pas d'anxiété dans cette fuite, il ne semblait pas y avoir de sentiment particulier à la base de ce départ précipité, seulement l'inéluctabilité du temps qui passe et de la fin des choses qu'on ne peut retenir.

Je me suis réveillé avec quelques phrases en tête que j'ai jeté sur un écran: le poète avait voulu parler. Quelques gouttes de larmes binaires ont ainsi imprimé leur trace sur ce terrain virtuel que j'occupe par moments.

C'est la rémanence des souvenirs qui donne de la perspective et reflète le présent. C'est précisément ce processus qui est à la base de la conscience, et c'est précisément celui-là qui se trouve à la source de la mélancolie du poète et penseur lucide. Au fondement de notre manière consciente de vivre: la création du temps qui s'écoule, le récit, l'histoire, et l'oubli qui nous effraie parfois mais fait de quelques uns des funambules agiles sur le fil de leur destin. Au fondement de chaque chose son opposé. C'est tous nos malheurs qui donnent leur complexion à nos bonheurs.

Je n'ai pas d'enseignement à donner, tout cela ne me sert à rien, tout ce que j'apprends me sert à être plus léger, c'est à dire à désapprendre encore plus. Je sais qu'on est un bon paquet comme cela, funambules, joueurs heureux, amoureux du style et de la forme; parce qu'il n'y a que la forme qui donne ici du fond à l'existence.

Aucun commentaire: