"Je n'ai personne à qui me confier. Ma famille ne comprend rien. Je ne peux pas déranger mes amis avec ces choses-là. Je n'ai, en réalité, aucun ami intime, et même ceux que je peux appeler ainsi, au sens où généralement on emploie le mot, ne sont pas intimes dans le sens où, moi, j'entends l'intimité. Je suis timide, et je répugne à faire connaître mes angoisses. Un ami intime est un de mes idéaux, un de mes rêves quotidiens, bien que je sois sûr que jamais je n'aurai un vrai ami intime. Aucun tempérament ne s'adapte au mien. Il n'y a pas un seul caractère au monde qui se soit montré proche de ce que je suppose doit être un ami intime. Finissons-en. Des maîtresses ou des fiancées, je n'en ai point; et c'est là un autre de mes idéaux, bien qu'après avoir cherché dans le for intime de cet idéal, je ne trouve que vacuité et rien d'autre. Impossible tel que je le rêve! Pauvre de moi! Pauvre Alastor! Ô Shelley, comme je te comprends! Pourrai-je me confier à ma mère? Comme je souhaiterais l'avoir auprès de moi! Pourtant je ne peux pas me confier à elle. Mais sa présence aurait allégé mes souffrances. Je me sens abandonné comme un naufragé au milieu de la mer. Et que suis-je d'autre, après tout, sinon un naufragé? Je ne peux donc compter que sur moi-même. Comment pourrais-je avoir confiance en ces quelques lignes? Aucune. Quand je les relis, mon esprit souffre en comprenant combien elles sont prétentieuses, combien elles jouent à se présenter comme pour un journal littéraire! J'ai même fait du style avec certaines d'entre elles. La vérité, cependant, c'est que je souffre. Un homme peut aussi bien souffrir dans un costume de soie qu'au fond d'un sac ou sous une couverture rapiécée. Rien d'autre."
Fernando Pessoa, note non datée. Traduction Pierre Léglise-Costa.