C'est dans les plumes de la nuit que se cachent les plus lointains souvenirs. Et puis, surtout, les plus fugacement intenses, charriés devant l'esprit par un envol des barrières et des inhibitions qui permettent à une conscience d'exister sans sombrer. Il est tellement facile de sombrer sous le poids des jugements lucides...
Alors la nuit, le voile se détend, et tout reflue à la surface comme une mauvaise marée qui viendrait bouleverser la géographie de l'âme, transformer les bancs de sable, rogner un peu sur la dune qui protège la végétation et sa vie fragile.
Dans les plumes de la nuit se nichent mes plus beaux sentiments, les plus effroyablement belles houles de la psyché où s'élèvent les vagues de mon amour, à travers les brumes de cette détresse existentielle qui fait de l'homme au troisième oeil l'écho d'une souffrance originelle.
Dans les plumes de la nuit d'aucuns parviennent à dormir, dépourvus d'origine, déposés par le rivage du sommeil comme une conque voyageuse par inertie... D'autres veulent percer les horizons, et jusqu'au moule de leur forme intime, sentant là quelque étrange facétie des phénomènes dans le fait de vouloir figer l'informe au sein d'une délinéation bien déterminée, dans le fait de vouloir segmenter la droite sans fin. Une sorte de nécessité vitale (mais qui peut s'avérer si délétère) fait cogner la volonté contre les barreaux du présent, et de l'ici, dans cet en-soi qui n'en est pas vraiment un parce que jamais au repos, toujours s'extrayant de lui-même pour s'observer et se surmonter encore. Quelque chose réclame gloutonnement une mue de tous les instants, un dépouillement de toutes les peaux comme si nulle n'était suffisamment chatoyante et diaprée pour offrir à l'oeil toutes les nuances encore impliquées dans le noyau d'une vie.
La seule fission qui advienne alors, dans son exaltation libératrice, se cantonne pour moi à quelques notes de musique et notamment à l'écriture poétiquement prosaïque de ces quelques sentiments, fondus dans le moule d'une langue inadaptée à tout sentiment, et pour cela délicieusement appropriée à refléter la lourde condition de l'homme: tragique incomplétude, nécessaire inadéquation. Entre la pensée et les choses...
Dans les plumes de la nuit qui se referment frissonnent mes questionements, mes humbles doutes quant à tout, les regrets qui viennent poindre à la lisière de l'âge mur, les craintes et les déceptions, les espoirs qui meurtrissent et tout leur lit d'incertitude.
Dans les plumes de la nuit, comme quelques perles mal assorties mais source d'une lueur chaleureuse - comme peuvent l'être les diffusions de la lumière des hommes, comme des myriades de fenêtres aux tons différents sur la façade d'un immeuble sans début ni fin - : la mélodie de ces sentiments intimes qui se tiennent la main dans l'unité d'une conscience qui les rêve tout en n'étant rien d'autres qu'eux.
Dans les plumes de la nuit, accrochées au néant, autant de mains tendues vers une source d'amour, vers un oeil irrémédiablement ouvert lui aussi sur le cours des choses, et qui capterait dans son abîme, avec une infinie empathie, le clignotement de mon existence, les soubresauts d'un tourment qui brûle au fond de l'être comme un pétrole aussi précieux que létale.
Dans les plumes de la nuit, ces quelques phrases comme un collier, lorsque mutines elles s'échinent à dédaigner un sommeil trop étale.
Dans les plumes de la nuit, ce message aux confins...