jeudi 15 décembre 2016

A simple song

Si je n'avais pas les explications cohérentes de la science sur certains points, je me laisserais volontiers aller à des associations d'idées que mon esprit produit naturellement dans cette féérie soliptique qu'il entretient avec lui-même. Les jours de lune rousse, lorsqu'elle semble surveiller la Terre de près, dénuder les âmes pour faire ressortir à la surface ce qu'il y a d'instincts refoulés, comme celui de hurler à la lune tel un loup heureux d'être là, je croirais véritablement qu'elle est l'oeil de toutes les fins, qui guette et se fait présent pour exhorter les humains à danser sur le fil ténu de l'instant.

Pourquoi ne suis-je pas resté dehors une bonne partie de la nuit à observer cette lune? Quelle servilité face aux structures acquises de la routine m'a poussé à m'encastrer, coi, au sein de mes mètres cubes d'existence...

La lune est là qui regarde, et je m'y plonge entier, mais seulement en pensée, comme tous mes voyages entrepris qui ne se feront jamais, parce qu'ils ont déjà été réalisés - dans ma tête... Je ne regrette rien, les choses aperçues me prêtent leurs formes et j'utilise celles-là comme un patron pour mes rêves éveillés. Je préfère habiter mon monde, et puis, de toute façon, avons-nous le choix...

J'ai aboli la science et je n'ai mis à la place que la simple forme des discours, je n'ai gardé que leur féminité exquise et qui, depuis tout jeune, me fait phantasmer. La forme des discours est le théâtre de bien de mes pensées, de mes émotions. Et chaque silence est là pour relever ces courbes dont l'âme se saisit pour inventer la seconde qui se livre. Le silence pour relever les formes, les formes pour éclairer le silence.

Mon curriculum vitae est une forme esthétique de vie, mais combien sont capables de voir cela? Combien mesurent la beauté de certains sacrifices, et la force de certains choix? Combien sont à même de goûter la prosodie d'une existence dont les propos sont abscons et sans importance? Combien voient comme moi nos vies comme une musique pure, allettrée, une suite de couleurs intervallées, un jeu de différence et d'écho?

Qu'à cela ne tienne si je ne suis rien pour tous, je sais moi, les heures de cheminement pour en arriver à danser sur ce pas délicat, qui pare mes traits de ce regard lucide et serein, et d'un sourire discret où se relâchent tout ce qui encombre et que l'on veut s'accaparer. Pour qui joue-t-on son existence? Pour les autres qui n'en font qu'une interprétation personnelle et nécessairement infidèle - ou fidèle par hasard, presque par une erreur de la nature -, ou pour soi-même et ce monde qui n'est que la surface où se projettent nos formes sur le réel indéterminé?

Lorsque la métamorphose du temps viendra éteindre ma conscience, j'espère avoir un dernier regard sur l'ensemble de ma vie, pour la concentrer en un dernier symbole qui ne tracera ses courbes qu'en mon for intérieur, muet, invisible, et beau dans cette finitude qui permettra au néant de le saisir en lui. J'aurais dansé sans que personne jamais ne le voit, j'aurais chanté sans même que l'on s'en doute, j'aurais mis mon destin en musique et la musique s'est éteinte, diffusée en mon sein dans un voyage ahurissant.

Personne ne saura jamais car la tonalité de sa vie est un secret qu'on emporte au-dedans de soi.

Mais, dans son projet fou de toujours créer le nouveau, la nature parfois, a des ratés - mais sont-ce bien des ratés? - et produit de son sein deux instruments si proches qu'il en sort le même son. Et alors le réel s'y heurte en écho selon deux tonalités si semblables qu'on pourrait presque les confondre. Viendra un jour cet instrument fraternel.

Toute lecture est un duo, plus ou moins accordé.