samedi 4 mai 2019

[ Terres brûlées ] Fugue en mineur du corridor honni



C'est un passage, un étroit corridor. On ne fait qu'y passer, du moins c'est bien ce qu'on se dit, au départ, puis encore un peu après, et toujours beaucoup, beaucoup plus tard...

C'est un couloir qu'on traverse et jalonné de portes. Ces portes restent à perpétuité closes. Non qu'elles ne daigneraient s'ouvrir, si une quelconque force les poussait, mais parce qu'aucune main n'agrippe leur poignée, parce que seuls des regards se heurtent à leur surface - ces mêmes regards qui bâtissent les mondes...

On flâne dans la galerie, ornée de tableaux, de maints objets de décoration, autant de symboles qui jonchent les mètres cubes de l'attente, celle-là qui doit nous amener quelque part... Qui devait nous amener ailleurs... Mais où, se souvient-on seulement du lieu?

Au départ, chaque symbole possède son interprétation, et le monde s'agence de manière holistique pour former le tout d'un univers, c'est à dire un divers uni par le regard. Il suffit que celui-ci change et les motifs alors brodés se transforment eux aussi, le couloir n'est plus le même bien qu'il n'ait pas changé. L'âme n'attrape que des souvenirs.

Le long couloir ne tient son unité qu'à son utilité: il est et demeure le passage entre un lieu et un autre, entre un passé et un futur. Il ne se ressemble que par cette fonction, et pour cette raison précise chaque chose est couloir en puissance.

Cette femme, ce livre, cet emploi détesté, cette noble amitié, cette ville amusante et ces passions fugaces.

Tout cela rentre dans le cadre du couloir, s'agence et se colore en fonction d'une attente, d'une fin qui ne s'en vient jamais.

Soudain, on passe face au miroir, et là notre regard devient le reflet de lui-même. Nous nous apercevons avec effroi que celui-ci, aussi, est un symbole attendant l'exégèse, et que ce moi saisi par la rétine n'est qu'un ornement transitoire, un prétexte à quelque autre, un leurre propitiatoire.

Lorsque les yeux se ferment enfin, il est parfois trop tard, le couloir est la vie, et le monde qu'on attendait, celui sur lequel on penchait son coeur impatient, est demeuré à un pas de côté, dans la note suivante, la seconde à venir.

On a joué à contretemps, dans l'interlude, sans le savoir sa propre fugue.

Et après tout tant pis, si la beauté s'en va par delà ce qui est, comme un rai de lumière fuyant qui montre dans les cieux un devenir possible.